La plupart d’entre nous a conscience de sa dépendance inquiétante aux GAFAM. Plutôt que de chercher à culpabiliser le téléspectateur en le rendant coupable de sa propre addiction, le réalisateur Marc Meillassoux propose dans Disparaître – sous les radars des algorithmes sur Arte, un tour d’horizon des alternatives existantes, interrogeant aussi bien des protestataires du mouvement des parapluies hongkongais que des habitué·es des nuits berlinoises.
Sur quel navigateur êtes-vous en train de lire cet article ? Quel appareil utilisez-vous ? Où êtes-vous susceptible de le partager après votre lecture ? Qui que vous soyez, simple citoyen·ne peu politisé·e ou militant·e anticapitaliste chevronné·e, il y a de fortes chances que vos pratiques se ressemblent plus que vous ne le croyez. Notre vie en ligne gravite aujourd’hui autour de cinq multinationales. Elles se partagent nos informations personnelles, les revendent au prix fort, et les communiquent parfois à des services de renseignement. C’est un fait établi. Maintenant que nous savons cela, que faire ?
Un documentaire contre l’emprise des GAFAM
Tandis que certaines œuvres versent dans la culpabilisation ad nauseam – à l’image du documentaire Derrière nos écrans de fumée de Jeff Orlowski sorti sur Netflix en 2020 – Disparaître – sous les radars des algorithmes nous invite à regarder les possibilités qui s’offrent à nous afin de contrer collectivement cette emprise numérique. Vous n’êtes pas un mouton naïf ni une machine à scroller, vous êtes un citoyen actif possédant des outils pour s’armer et se défendre.
Moins de metaverse, plus de fediverse !
Face à des algorithmes devenus incontrôlables, face à des gouvernements de plus en plus friands de surveillance généralisée, la seule solution est d’éduquer, prévenir et sensibiliser. D’autant que ce combat qui s’apparente à un affrontement de David contre Goliath vaut le coup. Mastodon, cette alternative à Twitter, compte déjà plusieurs millions d’utilisateurs. PeerTube, une alternative à Youtube, rassemble en moyenne 80 000 internautes par mois. Mobilizon, un récent projet pour contrer l’interface « événements » de Facebook, a réussi à lever 58 000 euros en 2019 pour se développer.
Ces initiatives ont la particularité de fonctionner de manière décentralisée : plutôt que de tout concentrer sur les mêmes serveurs appartenant à une même entreprise, de nombreuses instances peuvent êtres créées pour diversifier l’hébergement. Cet ensemble de petites alternatives forment ce qu’on appelle le « fediverse ». Ce mot valise pour « federation » et « universe », désigne ainsi une sorte de « contre-internet ». L’idée : recréer la promesse originelle de cette technologie apparue en 1989. La volonté d’un espace de liberté virtuel sans hiérarchies, sans asymétries d’information. Mais aussi un lieu où le pouvoir est partagé entre les utilisateur·ices.
Quand se protéger est un hobby … ou une question de survie
En interrogeant pêle-mêle des acteur·ices du « Mouvement des parapluies » de Hong-Kong, des professeurs d’un lycée français à Casablanca, des journalistes d’investigation et des organisateur·ice·s des célèbres nuits berlinoises, le documentaire nous montre aussi des environnements politiques différents qui nécessitent des stratégies de défense et de protection taillées sur mesure… Mais cette profusion de témoignage prend le risque de la confusion.
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S’il est notamment une bonne introduction au logiciel libre et aux méthodes de chiffrement, il oublie de mentionner que sur Internet, le mieux est l’ennemi du bien. Utiliser le navigateur TOR peut s’avérer utile pour laisser moins de traces. Pourtant cette solution n’est pas infaillible (comme le montrait récemment le média The Record) : elle perd toute son utilité si vous y utilisez votre compte Google. De même, au sujet des VPN, présentés dans d’innombrables vidéos sponsorisées comme l’alpha et l’omega de la protection sur internet. Ces logiciels doivent être une partie de la solution, et une partie seulement.
Mettre le pied à l’étrier des utilisateur·ices pour changer de perspective
Le réalisateur semble avoir conscience de l’ampleur de la tâche. Il n’invite jamais le téléspectateur à une transformation radicale de sa vie en ligne, évitant l’injonction à la pureté militante. Changer petit à petit ses habitudes, en commençant par son moteur de recherche ou son navigateur, est déjà un pas immense. Car l’ergonomie et la facilité d’utilisation de Google et Chrome nous empêchent de nous en séparer.
Cette enquête a le mérite de proposer des solutions concrètes et accessibles à tous·tes. Elle va même jusqu’à initier l’idée d’un démantèlement des GAFAM, posant ainsi les questions de protection des données personnelles comme un véritable enjeu de démocratie. Et plus simplement comme une fable fataliste où nous serions à la fois les ogres et les agneaux.
Disparaître – Sous les radars des algorithmes, documentaire ARTE, réalisé par Marc Meillassoux, disponible en replay jusqu’au 22 février 2022.
Un article de Léo Lefrançois. Photo de Une : La Quadrature du net, licence Creative Commons CC BY-SA 4.0.