Ils ont été déconnectés du jour au lendemain. Ce jeudi 29 avril 2021, s’ouvrait aux prud’hommes de Paris la conciliation entre 66 livreurs sans-papiers et la plateforme Frichti. Ils accusent la start-up au marketing fun et coloré de les avoir jetés dehors, après les avoir exploités pendant plusieurs années.
Il aura suffi d’un article dans la presse nationale pour créer l’effet d’une bombe. En juin dernier, un portrait de Karim* dans le quotidien Libération révèle les pratiques mises en place par la plateforme Frichti. La start-up a massivement recourt aux travailleurs sans-papiers via le statut d’auto-entrepreneur.
Sans contrat, ni garantie, la firme française s’appuie sur une flotte de près de 200 livreurs sans-papiers pour développer son entreprise, en toute connaissance de cause. À la suite de ces premières révélations, elle déconnecte l’ensemble des livreurs concernés.
Tentative d’étouffement: la « première vague »
Rapidement, soutenu par le Collectif de Livreurs Autonome des Plateformes (CLAP) et la CGT, les livreurs construisent le rapport de force. Ils se mobilisent ponctuellement devant les hubs, ces cuisines centrales d’un secteur où les livreurs récupèrent les commandes. Ils se rendent visibles durant les manifestations de sans-papiers pour faire pression sur l’entreprise.
Négociations en eaux troubles
En juin dernier, Frichti choisit la voie de la conciliation. Épaulée par la CGT, elle donne rendez-vous aux livreurs au Stade de France. Des délégués nommés parmi les livreurs sans-papiers jouent les courroies de transmission. Soutien de la première heure, le représentant du CLAP Jérôme Pimot est tenu à l’écart. « Ils ont empêché Jérôme de venir. Ils nous ont fait croire que c’était lui, le démon », soupire Koné Cheick Mahamane.
« Avant le Stade de France, les anciens délégués des livreurs ont prévenu le groupe. Ils ont dit que ceux qui feraient des menaces seraient reconduits chez eux. Ils nous ont dit que la police serait présente. Hors, quand nous sommes arrivés, il n’y avait personne », confie Koné Cheick Mahamane. Le résultat est là : tous les livreurs arrivent au rendez-vous la peur au ventre.
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Fofana va plus loin : « Il y avait les représentants de Frichti, Marilyne Poulain la secrétaire de la CGT et nos soi-disant délégués. Ils nous ont interdit d’allumer nos téléphones. Pour qu’on ne filme pas. Ils nous ont donné des documents à signer. Ils ne nous ont même pas donné le temps de les lire pour savoir ce qu’il y avait dedans. »
À l’issue de ces négociations, une petite partie des livreurs sans-papiers obtiennent un récépissé pour l’obtention d’un titre de séjour. Certains touchent la somme de 1 400€ comme dédommagement de leur déconnexion de la plateforme. D’autres n’auront rien. Cette inégalité de traitement, fondée sur des critères opaques, achève de semer la zizanie parmi les livreurs à la situation très précaire.
Les livreurs sans-papiers de Frichti finissent par s’unir au tribunal
Abattus, nombreux sont ceux qui renoncent à s’engager de nouveau dans une lutte durant l’été. Ils ne sont qu’une poignée à s’entêter. Ensemble, ils arpentent sans relâche l’ensemble des hubs pour continuer à mettre pression sur l’entreprise.
Dès la rentrée, les livreurs de Frichti entendent parler d’une autre plateforme qui déconnecte les livreurs sans-papiers sans prévenir. Il s’agit de Stuart, filiale du groupe La Poste. Une grande partie de ses livreurs travaillent aussi pour Frichti. Le coup est rude.
Jusque là, les livreurs déconnectés avaient renoncé à l’idée de plaider leur cas au conseil des prud’hommes. Face aux difficultés, Jerôme Pimot les convainc que c’est leur seule chance d’obtenir réparation. Patiemment, avec l’aide de l’avocat Kévin Mention, il amoncèle les preuves afin de construire des dossiers pour engager une procédure.
Ils sont désormais 66 à attendre une réponse. Il faudra attendre l’audience du 3 décembre pour savoir si les Frichti auront gain de cause. En attendant, Jérôme Pimot sourit. « Il y a d’autres dossiers en cours de montage avec Kévin Mention. On montera bientôt à 80. Frichti essaie de gagner du temps, mais c’est parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas gagner. »
Un reportage de Nabil Izdar. Photo de Une : Nabil Izdar
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