Mardi matin, la police a évacué le bâtiment A de l’Université de Paris 8, mettant fin aux cinq mois d’occupation de plusieurs dizaines de migrant.es. L’Université de Seine-Saint-Denis rejoignait ainsi la liste des universités ouvertes aux exilés, comme à Grenoble ou à Nantes. Il s’agissait de la dernière université de la région parisienne encore occupée, avant de subir, à son tour, une intervention policière. Radio Parleur a rencontré Cloé* et Lilia*, présentes en soutien des occupants lors de l’évacuation.
L’ambiance est pesante ce mardi soir, devant la Basilique de Saint-Denis où a lieu un rassemblement en réponse à l’expulsion de l’Université Paris 8, le matin même. Le soleil tape entre les véhicules de police et illumine la place. Des personnes prennent la parole à tour de rôle, suivies par des slogans criés en chœur : “De l’air, de l’air, ouvrez les frontières !”.
Très tôt, ce mardi 26 juin, à 4h40, la police est arrivée sur les lieux, brisant la chaîne humaine que quelques soutiens avaient faite dans l’urgence. L’entrée dans les locaux par la police a été rapide, suivie ensuite de plusieurs heures de nasses pour les personnes présentes. Certaines ont été retenues dans une salle, d’autres sur la terrasse à l’entrée du bâtiment d’art de l’Université.
La menace d’expulsion planait déjà depuis quelques jours sur les lieux. La présidence, par le biais d’un “comité de médiation” constitué par ses soins, avait fixé le 17 juin comme date butoir aux occupant.es pour quitter les lieux. Dès lors, l’intervention policière était attendue et redoutée. Beaucoup de migrants avaient déjà quitté les lieux avant l’expulsion, mais il restait encore près de deux cent personnes, ainsi qu’une centaine de soutiens, plus nombreux sur l’occupation en ce début de semaine.
Migrants et soutiens dans la nasse, encerclés par les CRS dans et sur la terrasse du bâtiment A de l'université #Paris8 à Saint-Denis, en cours d'expulsion après une longue occupation pic.twitter.com/eZc0DUuh5D
— Alexis Kraland (@akraland) June 26, 2018
Radio Parleur était venue à leur rencontre au début du mois de février, deux semaines après le début de l’occupation, lancée par un collectif de soutiens pour loger une centaine de migrants à la rue en plein hiver. Nous avions découvert l’auto-organisation des migrants occupant le bâtiment et l’aide effective de nombreux soutiens, restant sur les lieux parfois plusieurs jours d’affilé pour aider à la cuisine, aux échanges avec la présidence ou à la traduction. L’Université de Paris 8 rejoignait ainsi la liste des universités ouvertes aux exilés, comme à Grenoble ou à Nantes. Pour Cloé*, une étudiante présente à l’Université de Paris 8 lors de l’expulsion, “c’était beau ce qu’il se passait là-bas. La norme, ça devrait être ça : des lieux ouverts pour héberger des migrants, pas des centres fermés”.
Violences et tri au faciès
Bien que les personnes présentes dans l’université s’attendaient à subir une expulsion, celle-ci a été violente. Vidéos à l’appui, des menaces et des insultes de la part de la police ont été rapportées par les soutiens expulsés des lieux. Les personnes nassées ont été frappées, poussées contre des murs et gazées. Certaines sont ressorties blessées avec des hématomes sur le corps et le visage, dont un nez cassé. Mais le plus choquant à vivre, pour beaucoup, a été le “tri” opéré par les forces de police présentes : ces dernières ont en effet séparé des gens présents en fonction de leur couleur de peau, avant de faire monter les migrants dans des cars. En tout, trois cars sont partis en direction d’un gymnase au Raincy, d’après la préfecture. L’opération s’est terminée sur le coup de 9 heures. Cloé* a du mal à réaliser ce qu’il s’est passé et l’ampleur de la violence, “on savait que ces violences avaient lieu, on savait que des gens, que des enfants, étaient enfermés dans des centres de rétention. On le savait. Mais là on l’a vu. Et sous une dimension qui assume de diviser en fonction des couleurs de peau et en déshumanisant complètement les migrants”.
On est une majorité de soutiens enferméEs dans une salle, d’autres sur la terrasse, le tri avec les exiléEs a été fait. Contrôles discriminatoires (genre, faciès), gazeuses, coups de matraques, de casques. Menaces:« toi après, je te casse les dents ».#paris8 #violencespolicières
— lili (@lixiacsl) June 26, 2018
Ce matin à #Paris8 le plus dégoûtant, le plus impardonnable, c’est qu’ils ont trié les personnes présentes.
Ils ont triés par couleur de peau. Dans une salle avec d’une part les « noirs » d’une autre part les « non-noirs ».
Comment on en arrive là ?
Pourquoi on en arrive là ?— Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) June 26, 2018
Paris 8, Fac ouverte ?
Au début de l’occupation, la présidence affichait un soutien de principe à l’égard de l’occupation. Puis les problèmes logistiques ont vite pris le dessus, des “prétextes” détournés selon les étudiant.e.s qui soutenaient l’occupation du bâtiment. Ces dernier.e.s, avec les migrants, ont le sentiment d’avoir été au centre d’une manipulation, face à une présidence qui faisait mention de “rendez-vous secrets dont il ne fallait pas parler” selon Lilia*, étudiante à Paris 8. La présidente avait également obtenu et transmis à la préfecture de Seine-Saint-Denis 133 noms de personnes logeant dans les salles du bâtiment A transformées en dortoirs et lieux de vie, afin d’entamer une procédure de régularisation collective. Une procédure qui n’a jamais vu le jour car refusée par les pouvoirs publics.
A la rentrée scolaire 2018, l’université organise une nouvelle édition du Grand 8, festival annuel, pour célébrer l’esprit de ce lieu de savoir historique. Cette édition sera l’occasion de célébrer le cinquantenaire du centre universitaire, créé comme université expérimentale ouverte à tous et à toutes, avec ou sans diplôme du baccalauréat, suite aux luttes sociales de mai 68. L’année dernière, la présidence s’était félicitée d’accueillir des étudiants étrangers “contraints de fuir leur pays”. Cette année, les festivités auront un goût amer pour certains et certaines.
*Les prénoms ont été modifiés.
Dans ce reportage…
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Extrait sonore d’une vidéo du collectif LaMeute lors de l’évacuation de l’université