L’abstention électorale peut-elle être une forme d’engagement ? Quelle est la trajectoire politique des non-votants ? Dans son dernier ouvrage, “Nous n’irons plus aux urnes, plaidoyer pour l’abstention”, Francis Dupuis-Déri, professeur de sciences politiques à l’université du Québec, critique la sacralisation du vote et défend les formes de démocratie directe.
Dimanche 15 mars 2020 se tient le premier tour des élections municipales en France. Ce scrutin, comme les élections européennes et législatives, attire de moins en moins les électeur.rice.s depuis 1958*. Dans les discours médiatiques, l’abstention électorale est régulièrement présentée comme un mal, l’expression d’un égoïsme ou la marque d’un désintérêt total de la politique. S’y accole le vocabulaire de l’abandon, “démobilisation”, “désintéressement”, “bouder les urnes”… S’abstenir serait une faute, un manquement à ses devoirs citoyens. L’abstention ne serait pas un acte politique.
Dressant des parallèles entre le Canada, les États-Unis et la France, Francis Dupuis-Déri décrit une pluralité de pratiques abstentionnistes entre abstention apolitique et politique, ponctuelle et systématique. Il scrute plus intensément cette dernière catégorie. Son but : défendre un discours politique derrière l’acte de ne pas voter.
L’hypocrisie du vote et la fin du chantage
Comment un.e abstentionniste survit aux traditionnelles embuscades des repas de famille ? Dans les premières pages de son “plaidoyer pour l’abstention”, Francis Dupuis-Déri déconstruit un à un les arguments des électoralistes passionnés. “Si tu ne votes pas, tu ne peux pas te plaindre”; “des gens sont morts pour le droit de vote, tu piétines leur combat”; “si tu ne votes pas, les extrêmes seront au pouvoir”. L’auteur, désinscrit des listes de sa circonscription de Montréal depuis 2018, répond point par point.
En fil rouge de ses réponses, il dresse une critique du système électoral ancré fortement comme “la plus grande responsabilité civique” par une socialisation depuis la plus tendre enfance. À contre-pied, il insiste sur l’inefficacité du vote à changer le fonctionnement politique : “votre vote individuel n’a pas d’impact sur le résultat de l’élection. Pour avoir de l’impact, il faudrait voter pour le parti qui gagne.” Au-delà de l’illusion du choix, le système électoral lui apparaît “dysfonctionnel du point de vue des principes de liberté et d’égalité entre les citoyens et citoyennes” déroulant des exemples historiques de populations écartées des modes de scrutin.
L’engagement politique est ailleurs
La dernière partie de l’ouvrage éclaire les initiatives visant à subvertir le jeu électoral. Appel au boycott ou au vote nul, candidatures humoristiques, satiriques, de plantes, d’animaux, de punks ou de gnomes anarchistes… Les exemples de résistance au système électoral sont nombreux. L’abstention ou le trollage des élections suffiraient-elles à marquer son engagement politique ?
Privilégiant les expériences de démocratie directe, l’auteur indique que “le vrai engagement politique ne se passe pas sur la scène électorale. Il se passe ailleurs, dans des mouvements sociaux, dans des organisations de quartiers, dans des mobilisations du travail, dans les écoles, […] dans l’organisation concrète”. Le cœur de sa thèse est là : l’abstention électorale ne serait un acte politique fécond que si elle se conjugue avec des formes de mobilisations autonomes.
Un entretien réalisé par Romane Salahun. Photo de Une : Sylvain Lefeuvre pour Radio Parleur.
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Un remerciement tout particulier à Pierre Marlette pour son écoute assidue et un retour de qualité.
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