A l’instar de plusieurs villes de France, les collages féministes fleurissent sur les murs de Lille. Même s’ils sont arrachés au bout de quelques jours à peine, le collectif de colleuses persiste et se rassemble plusieurs fois par mois pour coller. Leur objectif : sensibiliser un maximum de personnes au sujet des féminicides et des violences faites aux femmes.
Le 14 janvier au soir, un groupe d’une petite dizaine d’étudiant·es se rassemble à la sortie du métro à Mairie d’Hellemmes. Tous et toutes sont habillé·es avec des couleurs sombres, capuche sur la tête et baskets aux pieds. Dans leurs sacs à dos se trouvent des pinceaux, des feuilles A4 avec des lettres peintes en noir et des papiers d’identité en cas de contrôle de police ou de garde-à-vue.
A leurs pieds, deux grands seaux remplis de colle de farine, “plus économique et plus écologique” que la colle à papier peint. Adria, habituée des collages, rappelle à tous.tes : « N’oubliez pas qu’on risque une amende de 90 euros en faisant ça. Si vous vous faites contrôler ou si vous allez en garde-à-vue, essayez de mettre un message rapidement sur le Discord pour prévenir les autres ».
Même si le collectif n’a pas de chef·fe, ce soir c’est Solène qui propose son organisation : « Sachant qu’on est huit et qu’on a deux seaux, on pourrait faire deux groupes de quatre ? ». Certain·es connaissent mal le quartier et hésitent. Le petit groupe restera finalement ensemble, se met en route. Sur le chemin ils et elles se répartissent les lettres qui doivent composer les différents slogans : « Victimes, nous ne vous oublions pas », « Céder n’est pas consentir » ou encore « La fin du patriarcat est proche ».
Une méthode d’action rapide et organisée
Après quelques centaines de mètres pour rejoindre le centre d’Hellemmes, un premier mur attire l’attention du groupe. Alors que deux des colleur·euses font le guet de chaque côté de la rue, tout se passe très vite. Barbara sort quelques lettres de son sac à dos pendant que d’autres appliquent la colle sur les briques. Rapidement, les lettres sont disposées pour former le premier slogan de la soirée : « Travailleu.r.ses du sexe assassiné.e.s, on ne vous oublie pas ».
Alors qu’Agathe passe un dernier coup de rouleau pour fixer les feuilles, un homme à vélo ralentit et s’arrête derrière le groupe : « C’est national, ce genre d’action ? On en voit de plus en plus… ». Après quelques réponses rapides, les activistes s’éloignent rapidement du lieu du collage en souhaitant une bonne soirée au passant. « Bonne soirée, Monsieur le Maire ! » les reprend l’homme. Vérification faite sur internet, le badaud est bien le maire de la commune d’Hellemmes-Lille. L’action reprend et d’autres slogans sont placardés dans le centre et la périphérie de la commune.
Des concerné.e.s à tous les coins de rue
Le groupe s’arrête à nouveau et installe ses seaux contre le mur d’une rue déserte. Une femme sort de chez elle et peste contre les colleur.euses : « Pour une fois qu’il y a un mur qui n’est pas dégradé, on nous le dégrade… et qu’est-ce qui est écrit ? ». Solène explique calmement : « Iels nous manquent tous.tes. C’est pour les victimes de violences conjugales et de féminicides. ». Alors, la femme se radoucit et explique qu’elle n’avait pas réussi à lire le message. Elle s’excuse et raconte sa situation conjugale difficile. « Chez moi, j’ai retrouvé un couteau dans le canapé et une carabine en bas. Ils ont mis une semaine pour arrêter le père de mes enfants. Il est allé 48 heures en garde-à-vue, et ils l’ont relâché avec interdiction d’entrer en contact avec moi ».
Les colleur.euses sont à l’écoute, posent des questions. « Pour moi, la prison n’est pas une solution. Il avait déjà pris huit mois de sursis et il était en semi-liberté. C’est là-bas qu’il a rencontré des mecs qui finissaient des peines pour deal de drogue. C’est là qu’il a commencé à goûter à la coke : en prison. Donc je suis désolée mais la prison, ce n’est pas une solution » confie cette Lilloise, les yeux perdus dans le vide.
Tout au long de la soirée, les passant·es ne se privent pas de réagir en direct. Certain.es les remercient, les encouragent, mais ce n’est pas toujours le cas. Solène se souvient : « A l’un de mes premiers collages on nous a insultées de « féministes » donc ça va, franchement on le prend bien il n’y a pas de problème ! ». Les lieux de collage ne sont pas choisis au hasard et doivent être acceptés par la totalité du groupe. « On ne colle pas sur les maisons parce que les gens risquent de se sentir visés. Et même si c’est un peu le but, ce ne sont pas des attaques personnelles » explique Clément.
Coller pour extérioriser
Le collectif tient à ce que chacun·e se sente inclus·e et accepté·e au sein du groupe. Le collage se poursuit vers la station de métro Marbrerie et l’ambiance est décontractée. Les membres débattent sur leur vision du féminisme, sur leurs expériences personnelles mais également sur le déroulé de la manifestation contre la réforme des retraites qui a eu lieu dans l’après-midi. Celle et ceux qui sont présent·es ce soir alternent entre détente et empressement lorsqu’il faut coller dans une rue plus éclairée. Adria raconte : « Par une action qui est illégale, on extériorise aussi beaucoup. On extériorise de la haine, de la colère, de la tristesse… On met quelque chose sur les murs mais on y met aussi une partie de nos émotions ».
Peu après 23 heures, la colle commence à manquer. « On ne peut pas continuer ? » lance une voix, déçue. Certain·es reprennent la direction du métro le plus proche, tandis que d’autres restent pour taguer quelques derniers slogans à la bombe : « Pour nos sœurs assassinées ».
Un reportage réalisé par Lisa Giroldini. Photo de Une : Lisa Giroldini
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