Dans l’imaginaire de l’auteur de science-fiction Michael Roch, les langues ouvrent un futur décolonisé. Pour ce cinquième épisode de Volutes, le podcast des imaginaires politiques de La Volte et Radio Parleur, nous vagabondons dans une littérature caribéenne et afrofuturiste, qui déploie avec brio les dimensions mémorielles, sociales et politiques de la guérison.

Pourquoi les romans de science-fiction sont-il si désespérément blancs ? Pourquoi aussi tout ce qui ne l’est pas est irrémédiablement renvoyé dans la panière des exotismes, des brutes, des barbares sanguinaires qu’il faut éliminer, ou pire, qu’il faut plaindre… Pourtant, un mouvement de décolonisation existe dans les littératures de l’imaginaire, si on prend la peine de s’y intéresser. 

Dans les Antilles, plus d’exotisme ni d’inégalités

Dans son dernier livre, Tè Mawon, l’auteur martiniquais Michael Roch use de langues multiples. Écrit pour partie en kréyol, mais aussi avec des mots empruntés à l’argot ou à l’anglais, il y développe une intrigue dans laquelle les personnages se débattent avec leur amnésie. Dans un futur proche, une grande communauté caribéenne dont le regroupements d’îles forment un état, la démocratie règne enfin. Malgré tout, un mouvement de révolte contre l’oubli de l’histoire de la société, et des disparités qui continuent d’exister, bouleversent cet équilibre.

Une science-fiction afrofuturiste qui percute la langue coloniale hégémonique

Avec quelle langue peut-on cheminer du passé vers le futur ? Y-a-t-il une confrontation, voire une lutte entre ces langues kréyol, français, l’argot, et l’anglais ? Pour Nadia Chonville, sociologue et autrice de fantasy, “le voir comme un combat, c’est apposer le regard qu’on a quand on a une pratique de langue hégémonique. Alors que nous, on a une langue maternelle dominée, empêchée. Elle s’invite donc partout, au milieu d’une phrase, par exemple.

La langue comme voyage dans le temps

Annabel Guérédrat a joué le spectacle Mami Sargassa à Brest, sous forme de lecture performative. “Ce conte, je l’ai écrit en français, en anglais, en espagnol et en kréyol. Et quand il m’a fallu performer en kréyol, il m’est arrivé quelque chose d’extra-ordinaire. J’ai tellement mâché, mâchouillé ce texte, que j’ai fait un voyage dans la cale d’un navire négrier. Et j’en ai encore des frissons.” Une remontée dans le temps corporelle, par le vaisseau d’une langue nouée, harnachée au corps.

Ce que je trouve génial dans Tè Mawon, c’est cet objectif de soigner la terre, notre base, ce qui se passe dans nos entrailles. Car ce qui a été fait n’est pas seulement une blessure individuelle, mais à une blessures à nous toustes, et à la terre,” explique Nadia Chonville. La langue de Michael Roch se réinvente, et l’enjeu est ainsi de se la réapproprier, pour parvenir dire son histoire à soi. 

Nos invité·es : 

  • Michael Roch, romancier et scénariste de SF, publie son premier roman à La Volte. Il a écrit deux autres romans remarqués : Moi, Peter Pan (2017), Le livre jaune (2019).
  • Nadia Chonville, sociologue, spécialiste des questions de genre (homophobie et sexisme) dans les milieux scolaires, professeure d’histoire-géographie. Autrice de fantasy (tétralogie Rose de Wégastrie), dont les fictions questionnent l’identité, l’exil, le rapport à la nature, l’insularité. Féministe antillaise.
  • Annabel Guéredrat, danseuse, chroégraphe, performeuse, a créé notamment le spectacle Mami Sargassa joué récemment à Brest, et I am a Bruja, autour de la figure de la sorcière.

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Avec Volutes, chaque mois un nouveau podcast féministe et queer sur les littératures de l’imaginaire

Volutes est une émission originale de La Volte et de Radio Parleur, diffusé chaque dernier vendredi du mois sur le podcast Pagaille. Pour penser les imaginaires politiques, auteurs et autrices racontent leurs engagements politiques avec leurs mots et leur poésie. Iels analysent et critiquent les formes littéraires depuis trop longtemps “mauvais genres” de la littérature que sont la science-fiction, la fantasy et tous leurs sous-genres.

Une émission produite par Violette Voldoire et Stuart Calvo. Animation : Violette Voldoire et Noémie Cadeau. Prise de son, montage et mixage : Violette Voldoire. Avec les voix de Romane Salahun et Etienne Gratianette.