Blessé à l’œil en 2007 lors d’une mobilisation lycéenne, Pierre Douillard-Lefèvre actuellement chercheur en sciences sociales et membre de collectif de mutilé-es, publie aux éditions Grévis Nous sommes en guerre, terreur d’État et militarisation de la police. Un récit qui se veut être une histoire du temps présent.
En 1995, Claude Géant, alors directeur de la Police nationale munit les policiers des Brigades anti-criminalité de fusil Flashball – pistolet tirant des balles en caoutchouc. Cette année marque le passage à une nouvelle doctrine du maintien de l’ordre en France : « on ne repousse plus une foule, on frappe des corps et on habitue les policiers à presser sur la détente pour tirer en direction d’une personne » nous explique Pierre Douillard-Lefèvre. Ces nouvelles armes sont peu à peu distribuées sur tout le territoire. Celles-ci ne font que très peu de bruit dans le paysage médiatique, alors qu’en banlieue elles mutilent déjà : Ali Alexis, père de famille, perdra un œil en juillet 1999 alors qu’il montait ses courses.
En 2007, le tournant de « l’usage industriel des balles en caoutchouc »
Novembre 2007 marque alors une nouvelle ère. “À partir de 2007 on va commencer à expérimenter une arme beaucoup plus puissante, beaucoup plus précise : cette arme c’est le LBD40” afin de répondre aux « nouvelles menaces », développe l’auteur. Le réel tournant se manifeste aussi bien dans « l’usage industriel des balles en caoutchouc » que dans dans la promotion de ces armes : « les promoteurs du Flashball puis les promoteurs du LBD vont présenter ses armes comme permettant aux policiers de ne pas tirer à balle réelle, alors qu’il n’y avait pas des milliers de tirs à balle réelle avant l’arrivée du LBD en France. »
Pourtant, le LBD vient bel et bien supplanter un autre outil du maintient de l’ordre. « En revanche, ce Flashball et ce LBD se sont substitués à la matraque. […] on maquille des armes de guerre, des armes de ingénierie militaire pour les faire passer pour des armes “civiles” » affirme Pierre Douillard-Lefèvre. La matraque n’a pas disparu, mais son usage est concurrencé par celui du LBD.
“Les polices du monde entier se militarisent”
La « terreur d’État », elle, s’organise, explique Pierre Douillard-Lefèvre. “Pour comprendre pourquoi cette violence militarisée a pu se développer à ce point, en France, en vingt ans c’est parce qu’elle a d’abord été expérimenté sur des catégories marginalisées de la populations, des catégories qui avaient déjà été discrédités préalablement” : les quartiers populaires, le monde du football, les frontières mais aussi les free party sont autant de terrain d’expérimentations.
Face à « augmentation de la violence d’État » certain-es prônent un « désescalade de la violence » suivant le modèle allemand. Proposition jugé anachronique et peu souhaitable par Pierre Douillard-Lefèvre : « le débat, ce n’est pas de savoir s’il faut un maintien de l’ordre efficace, fondamentalement, puisque en temps que force qui aspirons à un changement de la société nous n’avons aucun intérêt à ce qu’il y est un maintien de l’ordre efficace.“
Il est pourtant nécessaire, selon le chercheur en sciences sociales, d’avoir une image claire de la dynamique qui porte le maintien de l’ordre, hors de ce faux débat sur l’efficacité de la police. “Les polices du monde entier se militarisent, y compris la police allemande qui est utilisée comme un exemple. L’intégralité du maintien de l’ordre mondial s’aligne ainsi davantage sur un standard qui serait plus étasunien, voir français, d’une stratégie du choc et de terrorisation. »
Un entretien de Pierre-Louis Colin.
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