Dans Le Zizi de l’ange, Chroniques d’un spectacle vivant, Marion Achard raconte le quotidien d’une compagnie de cirque. Elle souhaite déconstruire l’idée que « comme on est passionné‧es, on n’a pas besoin de travailler ». Construire un spectacle, ou comment créer collectivement malgré la routine, le manque de considération, l’insécurité financière et l’exigence d’une vie de famille.
Farid, Amaïla, Saïlen, Ben et Mathilde sont les artistes de la compagnie Tour de Cirk. Après avoir présenté plus de 300 fois le même spectacle, il est grand temps de changer de refrain. C’est décidé, en quelques mois iels créeront un nouveau spectacle de toute pièce. Pour ces artistes expérimenté‧es, l’excitation du départ fait rapidement place à l’angoisse de ne rien proposer d’innovant.
Dans Le Zizi de l’ange, Marion Achard – elle-même artiste au sein d’une compagnie au nom étrangement familier – montre les difficultés inhérentes au travail créatif. Comment cadrer ces individualités créatives au sein d’un projet commun ? Tenir physiquement les mêmes positions répétées plusieurs heures chaque jour ? Gérer une cheville tordue qui retarde le travail de plusieurs semaines ? Comment composer avec les aides extérieures, souvent nécessaires au processus de création ?
Les dessins de Miguel Francisco accompagnent cette découverte du quotidien de la troupe. « Sur le dessin, j’avais vraiment envie que les positions de cirque et les positions techniques soient parfaites », confie l’autrice. « Alors dès qu’il y avait un dessin technique à faire, je lui envoyais une photo qui correspondait. » Une collaboration à distance qui fonctionne à merveille. Le travail du dessinateur sur les poses et les visages nous ouvre une fenêtre sur les coulisses du spectacle vivant.
Suspicion et incompréhension autour du processus créatif
Marion Achard d’ajouter : « je vois une incompréhension autour de ce travail d’artiste. Les gens ne comprennent pas qu’on parle d’argent : on fait ce qu’on aime, donc on a pas à se plaindre. À un moment, je me suis dit que ça serait bien de mettre à plat tout ça pour montrer aussi l’envers du décor. La difficulté et les joies de ces créations. Ce que les gens voient sur scène est le fruit de mois, voire d’années de travail. Pas juste de passion. »
Outre les difficultés inhérentes à la création, l’autrice pointe les bâtons que l’administration met dans les roues de la profession. Et en premier lieu, Pôle Emploi. « On est considéré‧es comme des chômeurs en permanence, ce qui est assez difficile quand on passe son temps à travailler. Par conséquent ils veulent vérifier qu’il n’y ait pas de triche autour de nos allocations. » L’autrice dénonce un contrôle du travail fourni, qui génère une sensation de précarité permanente. « Ça fait 17 ans que je fais ce métier, et je n’ai jamais de visibilité au-delà de quelques mois. En plus je me sens toujours considérée comme fraudeuse potentielle. Au bout d’un moment c’est un peu usant. »
Des difficultés qui font écho à la crise sanitaire
Le Zizi de l’ange met en avant les difficultés du travail d’artiste pré-pandémie de Covid-19, mais n’aborde pas les problématiques contemporaines des intermittent‧es. Le scénario était en effet bouclé dès 2019. Pourtant, l’histoire fait écho aux problématiques actuelles du monde du spectacle, avec la suspension des mesures de soutien aux intermittent‧es le 31 décembre à minuit. « La chute de nos allocations va me faire passer d’un métier précaire à une situation extrêmement précaire, et ça m’inquiète beaucoup » commente Marion Achard.« Ce sont ces aides qui ont permises que la plupart des petites compagnies se maintiennent. »
L’album se concentre sur les difficultés du travail d’artiste. On imagine les spectacles à partir des répétitions, des idées et figures, mais la représentation n’est pas le propos central. « Peut-être pour un prochain projet », nous confie l’autrice. Un album dans lequel les dessins de Miguel Francisco portent avec adresse et sans faute d’interprétation la chronique sociale de Marion Achard.
Le Zizi de l’ange, Chroniques d’un spectacle vivant disponible depuis le 1er septembre 2021 aux éditions Delcourt.
Un article de Martin Duffaut. Photo de Une : Editions Delcourt.