Le récit de Camille Kouchner dans La familia grande provoque un séisme dont les répliques secouent le débat public. Elle y dénonce l’inceste et le silence qui l’accompagne dans sa famille. Une vague de témoignages a déferlé sur les réseaux sociaux : #MeTooInceste, puis #MetooGay. Dans votre “Penser les luttes” de cette semaine, nous explorons cette nouvelle libération de la parole, trois ans après #MeToo. Que disent ces témoignages de nos familles, de nos institutions, de notre société ?
Nos invité‧es :
- Nicolas Martin, journaliste et producteur de l’émission La Méthode Scientifique, sur France Culture qui a témoigné dans le cadre du #MetooGay
- Noémie Saidi-Cottier, avocate au barreau de Paris, secrétaire générale de l’Alliance des avocats pour les Droits de l’Homme
- Léonore Lecaisne, anthropologue à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, autrice en 2014 de Un inceste ordinaire, et pourtant tout le monde savait, une étude écrite à l’aune de l’affaire Gouardo
Sur le même thème : Women who do stuff, revue féministe sur la famille
#MeTooInceste, l’accès à la parole et la fin des ragots
Un enfant sur cinq, et un·e français·e sur dix déclare avoir été victime d’inceste, selon le Conseil de l’Europe. Pour Nicolas Martin, « le viol ne relève pas de la sphère privée, mais d’une agression systémique qui concerne toutes les personnes désignées vulnérables par la nature patriarcale et hétérosexuelle de la société. »
Les agresseurs s’en prennent d’abord à celles et ceux dont ils pensent pouvoir disposer comme des objets. Des objets vulnérables qui ne peuvent pas se défendre. « On pourrait tout aussi bien avoir un #MetooTrans, travailleuses ou travailleurs du sexe, un #Metoo des migrant‧es. C’est-à-dire des personnes qui sont des victimes désignées par la société pour les agresseurs sexuels. »
La spécialiste de l’affaire Gouardo Leonore Lecaisne met en lumière le laissez-faire des voisinages. Le commérage a un rôle de lien social au sein d’une petite société, telle que la famille. « Les soupçons et l’information ne circulaient au départ qu’entre les anciennes familles. En circulant, l’information a permis aux nouveaux arrivants de créer un lien et de se distinguer des autres gens. C’est donc un commérage intégrateur, créateur d’un certain entre-soi », explique-t-elle, entravant le travail de la justice face à cette vague #MeTooInceste.
Le silence qui entrave la justice
Sur les conditions d’exercices de la Justice, Noémie Saidi-Cottier renchérit : « il y a des dysfonctionnements patents. On ne peut pas dire le contraire. Quand on est jeune, on a pas forcément toutes les clés en main pour dénoncer des faits qui sont graves. C’est un constat d’échec à mon avis. La société française n’est pas à la hauteur et ne sait pas protéger les victimes qui parlent avec #MeTooInceste. » « L’expérience du dépôt de plainte est bien souvent en elle-même une expérience traumatisante. C’est un obstacle majeur à la récolte de la parole et au début d’un parcours judiciaire » explique aussi Nicolas Martin.
Une émission animée par Arwa Barkallah, produite par par Sophie Peroy-Gay et réalisée par Tristan Goldbronn.