Le débat sur la laïcité et les religions s’envenime à Poitiers. La Fédération des centres sociaux de France est désormais visée par une inspection mandatée par la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement. Tarik Touahria, président de la Fédération des centres sociaux de France, lui répond.

Comme chaque année, la Fédération des centres sociaux (1300 structures en France) organisait fin octobre un débat sur un thème choisi par les jeunes participant·es dans un cadre pensé selon les principes de l’éducation populaire. Ainsi, il y a quelques mois, ces adolescent·es ont choisi leur thème : les religions. Bien mal leur en a pris. Leur choix leur vaut une polémique nationale et une inspection diligentée par le ministère à la Fédération.

Un débat sur la laïcité et les religions préparé pendant cinq jours à Poitiers

Le 22 octobre dernier, les 130 jeunes présent·es pour la dixième rencontre nationale à Poitiers travaillent cinq jours durant. Certaines des propositions qu’ils et elles formulent ne plaisent pas à Sarah El Haïry, ni sur le fond, ni sur la forme. En effet, l’une de ces suggestions ouvre notamment la voie à plus de souplesse sur le port des signes religieux, et un enseignement des différentes religions dans le cursus scolaire.

Une semaine plus tard, la secrétaire d’État diligente une inspection de la Fédération des centres sociaux par l’Inspection générale du sport et de la jeunesse. Les différent·es protagonistes, des jeunes aux éducateur·rices, en passant par les élu·es, subissent une pression croissante et des injures sur les réseaux sociaux. Des injures qui tournent rapidement aux menaces. Tout se verrouille au fil des jours, les élu·es refusant de communiquer de crainte que le retour de bâton politique ne soit très douloureux côté gouvernement.


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« On peut être fiers de notre boulot »

Tarik Touahria  est président de la Fédération des centres sociaux et socioculturels, qui pilote ces rencontres depuis plusieurs années. Pourtant, il ne s’attendait pas à une réaction si violente, même s’il sait le sujet explosif. Au micro de Lisa François, il répond à la secrétaire d’État qui s’interroge sur le travail de préparation de la rencontre.

Quelle a été votre réaction à l’annonce de cette inspection ?

Abasourdis, pas étonnés, choqués, confiants, tout ça à la fois. Pas étonnés parce que l’attitude crispée nous laissait présager qu’il y aurait un retour de bâton. Sereins car nous n’avions rien à nous reprocher. Mais c’est choquant dans la forme et dans le fond. Je dis aussi qu’on peut être fiers du boulot qu’on a fait, et on va le revendiquer.

Vous organisez ces rencontres avec le réseau jeune de la Fédération depuis huit ans. Comment préparez-vous ces débats ?

Les jeunes choisissent un sujet de société et s’en emparent, pour réfléchir collectivement, avant de présenter leurs réflexions et leurs propositions sur la façon dont ils vivaient leur religion dans la société française et plus largement les discriminations vécues par rapport à la police notamment. Nous on fait un travail d’éducation populaire donc on part de leur vécu, de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils pensent, et ils échangent collectivement. 

Ils ont eu en face une Secrétaire d’État qui ne les écoutait pas. Il y a eu une non-communicabilité totale entre des jeunes qui parlaient du réel, qui avaient pendant deux jours discuté de manière apaisée de sujets compliqués surtout vu l’actualité. Ils ont eu en face d’eux une Secrétaire d’État crispée sur un discours un peu incantatoire, désincarné.

Débat laïcité Poitiers
La rencontre du 22 octobre, préparée de longue date, rassemblait plusieurs dizaines de jeunes dans le respect des règles sanitaires. Crédit : Fédération des centres sociaux de France (FCSF)

Pourquoi selon vous, le dialogue attendu entre les jeunes et la secrétaire d’État ne s’est pas produit ?

Ils étaient ravis de rencontrer une jeune Secrétaire d’État de 31 ans et de leur expliquer où ils en étaient de leur cheminement. Ils étaient prêts à entendre des désaccords, et à en discuter. Ce n’est pas ça qu’il s’est passé. Il s’est passé des incantations aux grandes valeurs de la République, à l’appel à la loi de la laïcité, à chanter la Marseillaise, mais pas un dialogue. 

Quand on est là pour dialoguer et qu’il y a quelqu’un qui demande à chanter la Marseillaise, ce n’est pas évident qu’elle soit reprise en cœur. Donc la Secrétaire d’État est repartie furieuse. Et quelques jours après, on a reçu l’annonce qu’elle avait mandaté une inspection. En précisant que c’était pour comprendre les conditions d’organisation de cet évènement de Poitiers et plus globalement notre organisation dans la Fédération nationale.

Qui sont ces jeunes que la secrétaire d’État à la jeunesse ne considère pas comme « représentatifs » de la jeunesse française ?

Ce sont des jeunes des centres avec qui on travaille, qui pensent des choses et qui ont envie de proposer des choses. Des jeunes qui sont complètement dans la République alors que pour certains d’entre eux justement, elle les discrimine. Ils viennent de quartiers populaires de ville, de zones péri-urbaines et de zones rurales. Ils se retrouvent dans le centre social pour faire diverses actions, porter des projets collectivement, partir en vacances ensemble avec des opérations d’autofinancement. Et ils font des actions de solidarité sur leur territoire, et beaucoup d’actions au quotidien. Une fois par an ils se retrouvent pour cette discussion sur leur temps de vacances.

Savez vous de quels manquements la Fédération des centres sociaux et socioculturels est soupçonnée ?

Je ne sais pas trop… que les jeunes n’aient pas eu les propositions qu’elle aurait voulu qu’ils aient ? Qu’ils osent questionner la loi de 2004 sur l’interdiction du signe religieux à l’école ? C’était une proposition parmi d’autres des jeunes. Il aurait fallu qu’on fasse tout pour que les jeunes ne la produisent pas ? C’est peut-être ça. Je ne sais pas. On ne comprend pas, on fait notre travail, on accompagne des jeunes dans une réflexion, dans un chemin, et pour ça, on est inspecté.

Débat laïcité Poitiers
Par petits groupes ou en séance plénière, les participant·es au débat travaillent d’arrache pied. Crédit : Fédération des centres sociaux de France (FCSF)

Cette situation montre-t-elle une crispation aujourd’hui autour du sujet des religions et de la laïcité ?

Ça montre une crispation. On ne nie pas la situation. Nous centres sociaux, nous sommes confrontés aux difficultés qu’il peut y avoir autour de la laïcité, et sur la mixité. On est sur des territoires où parfois des gens voudraient nous faire empêcher de respecter tout ça. Et nous dans notre façon de faire, on défend au quotidien cette laïcité.  

C’est pas en crispant les choses qu’on règle les problèmes. C’est au contraire en considérant quiconque comme étant capable de penser, de réfléchir, de discuter, et se confronter. La République ce n’est pas le consensus. Faire bloc ce n’est pas tout le monde pense la même chose. C’est pouvoir questionner la loi de 2004 sur le port du signe religieux, c’est pouvoir discuter de la nature guerrière de la Marseillaise, et discuter de tout un tas d’autres choses. 

Là, on claque la porte aux jeunes et à notre façon de faire. Est-ce que ce sont ces façons de procéder qui vont être à la hauteur des difficultés actuelles ? Des ruptures ? De tout ce qu’il se passe ? Non je ne crois pas, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne forme.

Un reportage de Vic. Photo de Une : Fédération des centres sociaux de France (FCSF)

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