Depuis un an, le collectif Inter-urgences réclame un plan de sauvetage de l’hôpital public. En vain. Aujourd’hui, l’épidémie de coronavirus révèle l’ampleur de la crise sanitaire et de la déliquescence de l’hôpital public, anéantit par des années d’austérité budgétaire.

Dans la durée nous n’aurons plus de masques”, lâche Laurent, infirmier à l’hôpital Robert Debré à Paris (Île-de-France). Volontaire d’une unité Covid-19, il révèle la difficulté de s’organiser au moment où les hôpitaux pédiatriques parisiens s’ouvrent aux patients adultes pour désengorger les autres établissements de soins. En cause ? Un manque de moyens et d’effectifs dénoncés par toute.s ces soignant.es mobilisé.es au sein du collectif Inter-urgences.

Urgences grève santé
Manifestation des soignant.es à l’appel de la CGT à Paris le mercredi 11 septembre 2019. Photographie Scarlett Bain pour Radio Parleur.

Laurent comme Anna, infirmière aux hospices civils de Lyon (Rhône), anticipent une explosion du quota d’heures travaillées avec le pic de l’épidémie, prévu pour début avril. En attendant, les administrations réquisitionnent tous les bras disponibles. “Des unités Covid font travailler des étudiants pour le nettoyage des chambres. Il y a des pressions sur les brancardiers, notamment les contractuels, pour qu’ils prennent en charge les nettoyages des chambres Covid”, détaille l’infirmière.

Un manque de moyens, résultat des politiques libérales

Face à l’urgence, les soignant.es, coutumiers de la lutte, ont moins d’énergie et de temps pour se battre. “Il faut que l’État nous fournisse en masques, en solutions hydroalcooliques, en savon, surblouses… Là, on n’a pas le temps de se mobiliser. Moi j’ai lâché l’affaire, on verra plus tard”, se résigne Laurent, membre du collectif Inter-urgences. Il n’est plus temps de donner l’alerte mais de sauver des vies.

Le sociologue Pierre-André Juven établit un lien direct entre le manque de moyens disponibles pour gérer la crise et les réformes de santé conduites ces dernières décennies. “On est dans un état de saturation des établissements lié à une logique politique qui consiste à privilégier l’optimisation dans les hôpitaux publics”. Pour le co-auteur du livre La casse du siècle (Éditions Raisons d’agir), la valorisation des indicatifs de performances aurait surpassé le prodiguement des soins de qualité. Faire mieux avec moins : voilà en substance la doctrine imposée par les politiques libérales de santé.

Un an de luttes méprisé et une catastrophe attendue

Au sein du collectif Inter-urgences, ces professionnel.les sont les Cassandre de la crise sanitaire. Marie-Pierre, infirmière urgentiste à l’hôpital Necker à Paris s’insurge : “Pendant un an, on a dit qu’on avait besoin de plus de moyens, et on n’a reçu beaucoup de mépris de la part de notre gouvernement. Aujourd’hui, alors qu’on est bien dans la merde, on a droit à plein d’éloges.”

Hospitalier en lutte
« L’hôpital est dans une situation réanimatoire », alertait Sophie Crozier, neurologue et cofondatrice du collectif Inter Hôpitaux en octobre 2019. Photographie : Lisa Giroldini pour Radio Parleur.

Désigné.es “héros de la Nation” par Emmanuel Macron lors son allocution du 12 mars, ces soignant.es refusent ce terme et expriment un malaise envers les applaudissements renouvelés chaque soir aux fenêtres et balcons. “Je ne suis pas un héros, je suis quelqu’un qui fait son travail. La compétence, il faut la reconnaître et la valoriser. Et ça se fait par des lits, par des moyens”, insiste Marie-Pierre.

Une casse de l’hôpital organisée

Au cours des dernières décennies, les gouvernements successifs l’ont répété aux médecins et soignant.es : il n’y a pas d’argent magique. Depuis les années 1970, l’obsession budgétaire a étouffé les capacités de soins des hôpitaux. “Les moyens de l’hôpital public augmentent deux fois moins vite que son activité. C’est pour ça qu’ils se retrouvent dans une situation très difficile”, analyse Pierre-André Juven. Une logique du new management public décrite par le sociologue et fondée sur une direction hospitalière de gestionnaires, détachés du corps médical.

Cette gestion hiérarchisée semble remise en cause avec la crise. “Une partie de l’encadrement comprend par nécessité l’intérêt de retrouver du collectif, de la transparence et de la communication”, observe Anna, infirmière de Lyon. La question revient sans cesse dans la bouche des soignant.es : quelle priorité accorder aux soins face aux moyens alloués au sauvetage des entreprises ? Le plan de 45 milliards d’euros de soutien annoncé par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Lemaire, le mardi 17 mars questionne de nouveau le choix de ces priorités.

Le retour de l’Etat-providence ?

Contre l’épidémie, la solidarité entre soignant.es et entre particuliers s’organise grâce à des dons matériel et financiers. “C’est une chose que l’État aurait pu faire, même en situation de pénurie”, considère Anna.

Dire que la santé n’a pas de prix peut vouloir dire plein de choses différentes”, nuance Pierre-André Juven, face aux mots choisis par le président lors de l’annonce des mesures de confinement le 12 mars. L’évocation surprenante de “l’État-providence” et de la santé comme un “bien précieux” laisse-t-elle présager un revirement dans la politique étatique de gestion néo-libérale ? “Cela ne veut pas dire nous allons investir massivement pour l’hôpital public […] cela peut aussi vouloir dire que les citoyens et citoyennes pourraient à l’avenir financer plus largement des entreprises privées en santé, pharmaceutiques et du numériques.” Pour ces soignant.es en lutte, les propos du président ne sont perçus que pour ce qu’ils sont : des effets d’annonces.

Un reportage réalisé par Romane Salahun. Photo de Une : Romane Salahun pour Radio Parleur.

  1. 12
  2. 0
  3. 4

La production de ce sujet a nécessité :

Heures de travail
€ de frais engagés
membres de la Team
Parleur sur le pont

L’info indépendante a un coût, soutenez-nous