Le 9 octobre 2019, Romain Huët publie aux Presses universitaires de France (PUF) Le vertige de l’émeute. A contre courant des discours médiatiques et politiques dominants, l’auteur nous propose d’interroger ici “ce que l’émeute dit de notre époque” en présentant l’aspect sensible du moment émeutier.
C’est lors du tournage du documentaire Après le printemps que Romain Huët appréhende l’importance des sens dans l’expérience de la violence. Les combats font rage dans les rues de Morek, une petite ville de Syrie au nord d’Hama et l’auteur se propose d’explorer le quotidien des insurgés. “Je prenais le son pendant que Laurent était en train de filmer, c’est une expérience singulière car je devais être attentif à tous les moments sonores de la vie de tous les jours. C’est en prenant le son que j’ai été amené à considérer que c’était de toute importance ces éléments sensoriels, auditifs. Ça joue extrêmement dans les expériences”.
L’immersion et les sens
Pour rédiger ce livre, Romain Huët empreinte à Loïc Wacquant sa méthode sociologique “de chair et de sang”. Dès l’avant-propos, le chercheur affiche son intention de “s’engager corps et âmes” dans son objet d’étude. Le choix des mots n’est pas pris au hasard. Il est question, par cette méthode, d’éprouver le phénomène émeutier par soi-même, d’être présent et de le ressentir dans sa chaire. Une nécessité pour Romain Huët, celle de ressentir pour exprimer. Exprimer ce qui ne peut se dire sans s’être vécu. “Il fallait éprouver le phénomène par moi-même, pour éprouver dans ma chaire ce que d’autres pouvaient éprouver”. L’émeute est une expérience sensible. Elle traverse le corps et ses sens. Le bruit des vitres brisées, les cris de la foule, les détonations des grenades de désencerclement, l’odeur des lacrymogènes, la chaleur de la foule. Celle-ci condense sensations thermiques, olfactives et auditives. L’émeute fait s’exprimer une pluralité d’émotions : peur, angoisse, joie, colère. Celles-ci surgissent lors du moment émeutier à travers le corps. “Dans l’émeute, il y a un certain nombre d’affects qui est en train de jouer, dont un qui serait le plus simple à énoncer, c’est celui de la colère. La colère c’est en vouloir au monde, et ce vouloir s’inscrit jusque dans le corps.”
L’émeute et le politique
En plus d’être une expérience charnelle du politique, l’émeute est un “moment de débordement de la scène politique”, comme le souligne le chercheur. Une “capacité à ensauvager, à déborder des dispositifs institutionnalisés et régulés”. Celle-ci surgit pour faire que ce qui était prévu n’ait pas lieu. Elle “commence précisément là où elle est imprévisible, là où elle surprend”. Le pouvoir se dénude face à elle. Lui, si abstrait, si technique et procédural, devient alors simple et brutal. L’émeute “l’oblige à ne plus être subtil”, affirme Romain Huët.
Face à l’émeute, le pouvoir se révèle et fait ressentir à celles et ceux qui “en veulent au monde jusque dans leur chaire” toute l’étendue de sa force. Celui-ci se démontre par sa force répressive qu’est la police et se matérialise dans les institutions visées par les émeutier.es. Ainsi, celles et ceux qui en font l’expérience, vivent un moment de suspension du temps. Tenir un bris de glace dans sa main revient à tenir entre ses doigts “un bout du pouvoir qui s’effrite”. Durant ce moment, la scène politique est débordée et les dispositifs institutionnalisés sont surpassés. Le débordement est manifeste.
Un entretien réalisé par Pierre-Louis Colin. Extraits audios tirés du reportage de Tristan Goldbronn, Black bloc : en cendres tout devient possible. Photo de Une : Sylvain Lefeuvre pour Radio Parleur.
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