Mardi 17 mars, les mesures de confinement face à la pandémie du coronavirus n’ont pas épargné les prisonniers et prisonnières français·es. Des décisions qui tendent encore un peu plus le climat déjà très lourd dans le milieu carcéral. Surpopulation, manque d’accès aux soins, locaux vétustes… La Covid-19 met en lumière l’état déplorable des prisons françaises et risque d’y provoquer une flambée de violences.
70 651 prisonniers et prisonnières, 61 000 places et un taux d’occupation de 116 %. En 2020, trois chiffres suffisent pour prendre la mesure du système carcéral français. ” On a des prisons qui ont des taux d’occupation de plus de 200 %. Des cellules de 9 mètres carrés avec 2 à 3 prisonniers à l’intérieur. “ explique François Bès, coordinateur du pôle enquête à l’Observatoire International des Prisons. L’association mène les principales études et statistiques sur les prisons françaises. Il rappelle que la France a été condamnée fin janvier par la Cour européenne des droits de l’Homme pour ses prisons indignes : “Avec cette promiscuité, si jamais le coronavirus rentre dans une prison, il peut se propager extrêmement rapidement, ce serait la catastrophe”. Un risque d’autant plus fort que l’alcool, et donc le gel hydro-alcoolique, est interdit en prison.
Neuf membres du personnel pénitentiaire ont été testés positifs au coronavirus en France et environ 230 détenu·es ont été placé·es en confinement sanitaire, a annoncé vendredi la direction de l’administration pénitentiaire. Le ministère de la justice annonce que les premiers masques devraient être livrés dans les établissements ce vendredi. Ils sont principalement destinés aux personnels surveillants et le stock de 100 000 masques promis par la chancellerie ne suffira pas à tenir sur la durée.
Suspensions de parloir et des activités jusqu’à nouvel ordre
Face à ce risque, l’administration pénitentiaire a décidé de réduire au maximum le lien entre les prisonniers et prisonnières et le reste du monde. Les parloirs sont suspendus et les activités, professionnelles ou éducatives, sont annulées pour une durée indéterminée. Seules les promenades sont maintenues, pour le moment. Résultat : les détenu·es, qui passent en moyenne plus de 20 heures par jour en cellule, se retrouve enfermé·es quasiment à plein temps. Contacter sa famille à l’extérieur reste très difficile, seul le téléphone peut permettre de faire le lien mais il est soit payant, soit utilisé illégalement puisque les téléphones portables sont interdit en détention.
Maitre Matthieu Quinquis est responsable de la commission pénale au Syndicat des Avocats de France. Depuis plusieurs semaines, les familles de ses clients incarcéré l’alertent sur l’aggravation des tensions au sein des prisons à cause du coronavirus. “C’est une période extrêmement difficile, la solitude va être renforcée, l’inactivité va être très pénible à gérer” explique l’avocat “les familles veulent savoir ce qui va se passer en cas de contamination, si les prisonniers auront accès à des soins, autant de questions dont nous n’avons pas vraiment les réponse pour le moment”.
Contre le coronavirus : faire baisser le nombre de prisonniers
Jeudi 19 Mars, dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde, plus d’un millier d’acteurs et d’actrices de la justice et du monde pénitentiaire, avocat·es, médecins, magistrat·es ou universitaires, réclament une action immédiate pour réduire le nombre de détenu·es. Pour cela ils et elles demandent “un recours massif à la grâce individuelle d’un nombre important de personnes incarcérées”. François Bès de l’Observatoire International des Prisons évoque même une possible “loi d’amnistie” qui concernerait les peines les plus courtes et en passe de s’achever. Il faut “cesser de nourrir la machine à tuer que peut devenir la prison” affirment aussi les avocats de la conférence des barreaux parisiens. Après plusieurs jours de flottement, la garde des sceaux a demandé aux juridictions de “différer l’exécution des courtes peines d’emprisonnement”, une première mesure qui va permettre de réduire le nombre de nouveaux détenus à 20 ou 30 chaque jour contre plus de 200 habituellement. Les juges de l’application des peines s’activent pour accorder des réductions supplémentaires de peines ou encore faciliter les alternatives à l’emprisonnement.
“Il va y avoir de la violence”
Pour calmer les esprits, la ministre de la justice Nicole Belloubet promet aussi que “chaque détenu pourra bénéficier d’un crédit de 40 euros par mois sur son compte téléphonique, lui permettant de rester en contact avec sa famille et ses proches”. Une concessions qui ne rassure pas Laélia Véron. Linguiste, elle intervient en prison depuis plusieurs années : “forcément il va y avoir de la violence, ça été des annonces très brutales. Les prisonniers sont extrêmement stressés par ce qu’il se passe. Face à eux les surveillant·es vont être en première ligne” estime l’enseignante, continuant : “c’est à eux que l’on va demander de tenir les détenu·es, ils vont avoir un rôle uniquement répressif, ça va être très difficile.”
Des moments de tensions qui se multiplient ces derniers jours. Mardi 17 mars, à la maison d’arrêt de Grasse près de Nice, les gendarmes et policier.e.s ont dû effectuer 4 tirs de sommation pour calmer une mutinerie. Plus tard, le même jour, c’est à Perpignan que des détenus ont refusé de rentrer en cellule. Dernier événement en date, jeudi soir à Argenten dans l’Oise, une quinzaine de détenus sont parvenus à monter sur le toit d’un bâtiment avant l’intervention de la gendarmerie mobile.
Un reportage réalisé par Martin Bodrero
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