Mardi 14 janvier, lors d’une conférence de presse à la Faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière à Paris, 1100 médecins annoncent leur démission de leurs fonctions administratives. Ces chef.fes et responsables de service n’entendent plus assurer leur mission tant que le plan du gouvernement pour sauver l’hôpital public n’est pas revu à la hausse.

“J’ai l’impression de venir à une sorte d’enterrement”. Le professeure Agnès Hartemann, responsable du service diabétologie de la Pitié-Salpêtrière, a traversé son hôpital avec émotion. C’est la dernière fois qu’elle l’arpente en tant que cheffe de service, déposant sa démission ce jour dans une lettre adressée à la ministre de la santé Agnès Buzin. Ils et elles sont plus de 1000 médecins ce matin-là à renoncer à leur mission administrative. Un statut de chef de service, responsable d’unité ou élu de commission médicale d’établissement est vécu comme “un honneur dans une carrière” indique le professeure. Pourtant c’est la démission collective. Un geste politique lancé à l’initiative du collectif Inter-hôpitaux en lutte depuis plusieurs mois.

“La mort dans l’âme”, ces praticienn.es y voient le seul moyen pour se faire entendre d’un gouvernement qui ne prend pas la mesure de la situation. Alors que la mobilisation entamée par le collectif Inter-urgences depuis 10 mois se poursuit, le Premier ministre Edouard Philippe annonçait un “plan d’urgence” le 20 novembre. Pour sortir de la crise, le gouvernement promettait un remède financier : 1,5 milliards d’euros supplémentaires versés sur trois ans dans l’enveloppe budgétaire de la santé publique, la reprise par l’Etat d’un tiers de la dette des hôpitaux publics et un alignement de nouvelles primes. “Trop peu, trop partiel, trop étalé dans le temps” répondent ces hospitaliers. Ils réclament dès 2020 une augmentation de 600 millions d’euros de plus de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), au-delà des 200 millions prévus par le gouvernement, en plus d’une revalorisation “significative des salaires”.

Chef.fes de service et responsables d’unité sont réuni.es pour expliquer leur démission à la faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière. ( Photographie : Romane Salahun)

Une qualité et une sécurité de soins menacées

Dans cette salle carrelée au 5ème étage de la faculté, tous et toutes décrivent une situation désespérée. “On n’arrive pas à prendre en charge nos patients et c’est de pire en pire” admet Martine Schlenker, pédopsychiatre. Les mêmes mots reviennent quelque soit le service concerné : manque de moyens, manque de personnels, perte d’attractivité du service public, et une logique de rentabilité qui écrase le bien commun de la santé. “Le cauchemar a commencé quand on nous a dit ‘il faut que vous produisiez du séjour’. Plus il y a de séjours de patients, plus on est dans le vert” explique une spécialiste. Une logique de productivité qui “infantilise” les chefs de service. Ces cris d’alerte ont déjà été lancé dans la rue lors de la grève nationale du 17 novembre. Un mois plus tard, les représentants du collectif sont reçus par la ministre, en vain. “Elle nous a réexpliqué le plan d’urgence… mais nous on a bien compris“.

Dans ce “climat de désespérance”, ces médecins jettent l’éponge. Priorisant le sort des patient.es, Martine Schlenker rappelle que “ce sont eux qui font les frais de cette situation”. Marie Citrini, représentante des usagers de l’AP-HP abonde en ce sens et adresse son soutien aux démissionnaires. Si ces démissions sont adressées à la ministre de la santé, elles visent aussi l’électrochoc dans l’opinion publique. “Le mot ‘démission’ accolé à ‘médecin’ pose un soucis dans l’opinion, on se dit, là, il y a vraiment quelque chose” glisse-t-elle aux blouses blanches à ses côtés.

Une rupture avec l’administration hospitalière

Mais que veulent dire ces démissions ? Pour ces praticien.nes, elles restent symboliques, n’impactant ni leur salaire, ni leur exercice de la médecine. Elles peuvent cependant peser à moyens termes sur la vie du service. “Je ne participerai plus aux réunions qui ne concernent pas purement le médical, je n’aviserai plus l’administration des problèmes de mon service” décrit Jean-Luc Jouve, chirurgien chef du pôle de pédiatrie Assistance publique hôpitaux de Marseille. Dans la cité phocéenne, l’AP-HM compte 50 démissionnaires. Quarante-quatre médecins démissionnent au CHU de Rennes, 20 à la Pitié-Salpêtrière à Paris et 13 à l’hôpital d’Aulnay-sous-bois.

Au-delà de ces démissions, le bras de fer continue sur d’autres terrains. “La grève du codage continue dans mon établissement, votée à l’unanimité” indique Stéphane Dauger, chef de service de réanimation pédiatrique à l’hôpital Robert-Debré. Les médecins ne transmettent plus les informations permettant la facturation des actes médicaux à l’Assurance Maladie. Dans cette mobilisation, les concertations collectives continuent également jusqu’à l’obtention d’une réponse gouvernementale adaptée. Le collectif Inter-Hôpitaux appelle à un réunion nationale le 26 janvier. “Nous attendons la réponse de la ministre. Si elle téléphone tout à l’heure elle peut arrêter ça. La démission rentre en action mais la ministre peut l’arrêter” conclut le professeur André Grimaldi.

Un reportage réalisé par Romane Salahun

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