Le 6 décembre, le verdict est tombé : 10 000 euros d’amende avec sursis pour l’entreprise de travaux en hauteur ETH. Elle employait Quentin Zaraoui-Bruat, un cordiste de 21 ans décédé en juin 2017 dans un silo de la distillerie Cristanol dans la Marne. Un “mort du travail et de la précarité” pour Éric Louis et Grégory Molina, ex-cordistes et co-fondateurs de l’association Cordistes en colère, cordistes solidaires.

Enseveli sous 370 tonnes de granulés de résidus de céréales, Quentin est le troisième cordiste à perdre la vie sur le site de Cristanol. En 2012, Arthur Bertelli et Vincent Dequin sont décédés dans les mêmes conditions. Trois morts en cinq ans, le site est “un véritable cimetière pour cordistes” selon Éric Louis, collègue de Quentin et co-fondateur de l’association Cordistes en colère, cordistes solidaires.

Jugée pour homicide involontaire, seule ETH (Entreprise de travaux en hauteur), l’entreprise sous-traitante, a finalement été condamnée. Le groupe Cristal Union, propriétaire de la distillerie Cristanol, n’a pas été cité à comparaître. Un choix de la justice inadmissible pour les proches de Quentin et les membres de l’association Cordistes en colère, cordistes solidaires. Dans une lettre ouverte publiée au lendemain du procès, ils et elles dénoncent “une justice de classe à la solde de la grosse industrie.”

Cordiste : une précarité source de danger

Eric Louis résume la situation : “d’un côté il y a Quentin, 21 ans, travailleur intérimaire précaire avec des contrats à la semaine qui est payé 11 euros de l’heure pour venir de sa Bretagne natale dans une voiture à moitié déglinguée bosser dans les silos de Champagne”. De l’autre, on a Cristal Union, qui appartient depuis de nombreuses générations à la famille Bohan. Celle-ci possède une vingtaine d’usines en France, emploie 2.500 salariés et pèse 2,5 milliards d’euros en termes de chiffre d’affaire.

L’inspection du travail avait pourtant relevé, au jour de l’accident, cinq infractions au Code du travail de la part du géant du sucre (propriétaire des marques Daddy et Erstein, et l’un des leaders de la production de bioéthanol en Europe). Quant à la peine attribuée à la société ETH, similaire aux réquisitions du parquet, elle est dix fois inférieure à celle écopée en mars dernier par le groupe Cristal Union et son prestataire de nettoyage Carrard Services lors d’un premier procès pour les accidents de Vincent et Arthur.

L’accident de Quentin : tout sauf un cas isolé

Depuis 2006, l’association des Cordistes en colère, cordistes solidaires recense au moins 23 cordistes décédés dans l’exercice de leur métier. Des accidents qui, selon des études publiées par la MSA (Mutualité Sociale Agricole), n’ont pas diminué depuis les années 1970, alors que la technique est, elle, supposée avoir évolué.

“Pour éviter une rupture de production, on envoie des gars en anticipation… et à la mort.” Comme l’expliquent Grégory Molina et Éric Louis, l’intervention des cordistes dans ce type d’installation est, depuis une dizaine d’années, intégrée au processus de production. Or, le Code du travail stipule qu’elle doit être strictement ponctuelle et de courte durée. “C’est moins cher pour Cristanol de payer quelques cordistes au SMIC pour vidanger un silo que d’investir dans un système mécanique de meilleure qualité qui ne nécessiterait pas l’intervention de cordistes” insiste Éric Louis.

Cortèges des cordistes en colère lors de la manifestation du 10 décembre contre la réforme des retraites à Amiens. Photographie : Cordistes en colère.
Cortège des cordistes en colère lors de la manifestation du 10 décembre contre la réforme des retraites à Amiens. Photographie : Cordistes en colère.

Sous-traitance du risque : quel statut pour les cordistes ? 

Pas de conventions collective, ni de code APE (activité principale exercée) : la profession de cordiste demeure quasiment virtuelle dans le Code de travail. En France, ils et elles sont pourtant 8625, dont 4200 intérimaires. Ces derniers auraient augmenté de 53% entre 2009 et 2016, contre 51% pour les titulaires, selon un recensement du Syndicat français des entreprises de travaux en hauteur (SFETH), cité dans l’enquête de Franck Dépretz pour Bastamag sur la mort de Quentin.

La part du gâteau ne cesse pourtant pas d’augmenter pour les entreprises intérimaires, qui bénéficient d’une demande de main d’œuvre toujours croissante. Selon la même étude évoquée plus haut, le chiffre d’affaire global des 726 entreprises spécialisées en travaux sur cordes (1,5 milliards d’euros en 2016) aurait progressé de 260 % sur la même période.

Lucrative pour certain.es, cette activité l’est moins pour celles et ceux qui constituent le corps du métier, car les salaires dépassent rarement le revenu minimum. De plus les conditions sont telles que le turnover des travailleurs est important et régulier.

Un entretien réalisé par June Loper. Extraits du livre Chronique sur cordes récités par Adel Ittel et Antoine Laurent-Atthalin.

Pour aller plus loin :

Chroniques sur cordes, Éric Louis , dont des extraits sont lus dans cet entretien, et dont les ventes contribuent à soutenir l’association Cordistes en colère, cordistes solidaires et financer les frais de justice

Profession cordiste, documentaire sonore de Franck Dépretz, Binge Audio

Accidents mortels à répétition : quand l’agro-industrie joue avec la vie de ses techniciens cordistesFranck Dépretz, Bastamag, 23/07/18

« Si vous n’y allez pas, vous n’êtes pas des hommes ! » : enquête sur la mort de Quentin, jeune technicien cordiste, Franck Dépretz Bastama 04/01/19

Au procès de Cristal union, jugé pour deux accidents mortels : « Ils ont essayé de rejeter la faute sur les cordistes», France Timmermans, Franck Dépretz 21/01/19

Morts au travail : 100 000 euros d’amende et prison avec sursis suite au décès de deux cordistes, Franck Dépretz, 06/03/19

Morts au travail: une condamnation à Reims, combien de victimes invisibles?Dan Israel, Médiapart, 01/03/19

Profession cordiste, attention danger, Dan Israel, Médiapart, 03/12/19


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