A la marche des mutilés, le 2 juin à Paris. Photo Pierre-Olivier Chaput

Marquer les chairs et les esprits – Partie 1

Ils et elles sont les « Mutilé⋅es pour l’exemple. » Comme les fusillé⋅es pour l’exemple, ils et elles disent avoir été pris⋅es pour cible par la police. Pour faire peur aux autres, à tout.es les autres, et faire cesser ce mouvement des Gilets Jaunes qui dérange. Être blessé⋅e, qu’est-ce que cela veut dire pour elles et eux ?

 

David Breidenstein, blessé le 16 mars 2019, Gwendal Leroy, blessé le 19 janvier 2019 Xavier, blessé le samedi 20 avril 2019, Alain Hoffmann, blessé le 1er décembre 2019, et Laurent Théron, blessé le 15 septembre 2016. Cinq récits sur ce tir qui a brisé quelque chose en eux, en l’espace d’un éclair. Aujourd’hui ils se reconstruisent. Certains tentent le retour à la normale. D’autres le combat politique qui donne une épaisseur à ce trauma qu’ils surmontent.

Des centaines de blessé⋅es Gilets Jaunes, l’omerta des violences policières

Depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes, 24 personnes sont énucléées. Cinq autres ont perdu une main*. Des centaines d’autres ont des blessures plus ou moins graves aux pieds, au visage, souffrent de fractures, ont perdu tout ou une partie de leurs gencives, de leurs dents. Leurs cages thoraciques, leurs crânes, ont été enfoncés, comme une canette en aluminium écrasée par un choc violent. Comme un coup de batte de baseball donné à distance. Un poing d’Hercule vif et impossible à prévoir.

Dix fois plus de blessé⋅es graves qu’en 2016

Les blessures graves en manifestation ont été multipliées par dix depuis le mouvement contre la Loi Travail, en 2016. À l’époque, deux personnes ont perdu un œil. Frappé par un tir policier de LBD40 en avril 2016, un étudiant rennais perd son œil quelques jours plus tard. Laurent Théron est touché le 15 septembre 2016 place de la République à Paris, lors de la manifestation de rentrée du mouvement social.

Les personnes blessées témoignent de ce que sont leurs vies aujourd’hui, après ce choc. Plusieurs éléments communs de leur histoire particulière se recoupent. Pour tous, c’est un⋅e policière, pas toujours identifié.e, qui tire une balle de LBD40 ou une grenade de désencerclement. Les enquêtes sont en cours, ou déjà classées sans suite, soit par la justice, soit par l’IGPN, la police des polices. Pourtant, il y a dans leurs cas un faisceau d’informations qui concorde, et pour chacun d’entre eux, il y a une très forte probabilité qu’un tir policier soit responsable de leurs mutilations. Un seul d’entre eux, Laurent Théron, a pu renvoyer le policier qu’il accuse devant un tribunal. Le procès aura lieu l’année prochaine.

Des blessé⋅es qui s’organisent face au déni institutionnel et médiatique

Tous racontent n’avoir rien fait pour mériter ce coup de LBD40, cette grenade de désencerclement. Pour plusieurs d’entre eux, ils se trouvaient à l’écart du groupe, en retrait, ou bien en train de filmer des violences policières ou des Gilets Jaunes. Aucun ne participe à la stratégie du black bloc, et se décrivent comme « pacifistes ». Ils viennent des quatre coins de la France, et ont été blessé·es à Paris, en manifestation.

Tous et toutes dénoncent des violences policières vécues par les Gilets Jaunes et le déni institutionnel et médiatique de celles-ci. En quelques mois de mouvement des Gilets Jaunes, les blessé⋅es se sont donc organisé.es pour porter une autre parole, la leur, celle des « Mutilé⋅es pour l’exemple ».

Comment vont-ils ?

David continue de participer à certaines manifestations des Gilets Jaunes. Il attend toujours une opération de l’œil. Gwendal a repris des forces et va mieux physiquement. Xavier aussi se remet peu à peu, il a pu reprendre le travail. Il garde encore beaucoup de séquelles mais n’a pas complètement perdu l’usage de son œil. Alain est remis physiquement mais est toujours suivi par une psychologue pour soigner le choc post-traumatique. Laurent Théron a pu béneficier d’une prothèse oculaire. Il a coupé les ponts avec son père, et consacre beaucoup d’énergie à son combat judiciaire. David, Gwendal et Alain font partie d’un groupe de Gilets Jaunes qui demande l’interdiction des armes dites sub-léthales par la police et la gendarmerie dans leurs missions de maintien de l’ordre. Laurent Théron mène également un combat contre ces armes. Merci à eux d’avoir partagé leurs histoires difficiles.

*ces chiffres sont notamment disponibles dans le décompte réalisé David Dufresne et par le collectif Désarmons-les

Dès vendredi prochain, retrouvez “Marquer les chairs et les esprits – Partie 2” sur Radio Parleur.

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Un podcast documentaire de Violette Voldoire et Tristan Goldbronn. Mixage et création sonore : Etienne Gratianette. Photo de Une : Pierre-Olivier Chaput pour Radio Parleur.

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