Des habitants du quartier populaire de la Villeneuve à Grenoble organisent un référendum d’initiative citoyenne pour recueillir l’avis des résidents sur la démolition des logements sociaux. La mairie a déjà annoncé qu’elle ne tiendrait pas compte des résultats.
Lundi 14 octobre, 11 heures, quelques personnes s’activent aux pieds des immeubles de la galerie de l’Arlequin, dans quartier Villeneuve à Grenoble. Ils et elles installent des tables et mettent en place des urnes. Entre deux gorgées de café, place aux dernières vérifications. L’un d’entre eux s’avance, filmé au smartphone par d’autres. Il prend son souffle et se lance “nous démarrons le référendum d’initiative citoyenne maintenant et nous allons sceller les trois urnes”. Lui, c’est David Gabriel, membre de l’atelier populaire d’urbanisme du quartier et du collectif contre les démolitions. Après verrouillage, il remet les clés des urnes aux observateurs indépendants du vote, dont un universitaire.
Un vote ouvert jusqu’au 20 octobre pour les habitants de la galerie de l’Arlequin.
Rapidement, quelques habitants viennent déposer les premiers bulletins. Certains s’éloignent pour le remplir. D’autres ne cachent pas leurs opinions et restent même un peu pour bavarder, avant d’aller chercher les enfants à l’école. “Pour ou contre la démolition des logements sociaux ?”. C’est la question qui est posée aux habitants de la Villeneuve. Trois réponses sont possibles : pour, contre ou abstention. Le Réferendum d’initiative citoyenne est bien lancé. Il se terminera dimanche 20 octobre à 19 heures. Il est uniquement ouvert aux habitants de la galerie de l’Arlequin âgés d’au moins 18 ans. Après le dépouillage, les résultats seront annoncés dans la foulée.
Depuis plusieurs années, une partie des habitants du quartier s’opposent à l’ambitieux programme de démolitions des logements sociaux lancé par la mairie. La Villeneuve est un lieu emblématique des quartiers populaires du sud de Grenoble. Construite dans les années 60 comme une expérience urbaine révolutionnaire, le quartier souffre aujourd’hui de sa mauvaise réputation. Plusieurs fait-divers ont marqué ces dernières années, l’incendie criminel du collège Lucie Aubrac en 2017 et le drame du lynchage de Sofiane et Kevin, deux jeunes de 21 ans, laissés pour morts en septembre 2012.
L’équipe municipale veut “ouvrir le quartier sur le reste de la ville”. Face à cela, le collectif contre les démolitions de l’Arlequin a proposé en 2018 un plan de rénovation alternatif. Sans succès. Les militant.e.s ont ensuite tenté de lancer une première votation citoyenne, dispositif plébiscité par la mairie, mais qui a été interdit par le tribunal administratif. Échaudée, l’équipe municipale en reste là. Inspirés par le mouvement des Gilets Jaunes, les membres du collectif contre les démolitions décident alors d’organiser ce vote par eux même, sans l’aide des élus locaux.
Neutralité et transparence sont les mots d’ordre des organisateurs
Deux bureaux de vote sont mobiles. Chaque jour, ils prennent place au pied d’un des immeubles de l’Arlequin. Le troisième reste fixe, au Patio, au cœur de la galerie. Les assesseurs veillent bien au respect de critères définis pour ce RIC. “On vérifie la carte d’identité, le justificatif de domicile et on demande d’émarger”, explique l’un d’entre-eux.
Dans la matinée, des habitants passent et promettent de revenir voter dans la semaine. À l’inverse, certains n’hésitent pas à dire qu’ils ne voteront pas. “Ça m’intéresse pas votre truc”, souffle un homme en sortant promener son chien.
D’autres se présentent avec tous les documents nécessaires, comme Yamina, résidente du quartier depuis 2008. Pour elle, c’est important de voter pour s’opposer aux démolitions. “On est là depuis longtemps. Mes enfants sont scolarisés dans le quartier et le loyer n’est pas trop cher”.
Un autre habitant apporte son soutien au collectif contre les démolitions. “Depuis que je sais que des immeubles vont être détruits, j’ai les larmes aux yeux dès que je sors et que je les regarde”, confie-t-il, avant de rentrer rapidement chez lui.
Une vingtaine de votants dans la première matinée de vote
Ce n’est pas le cas de Hussein. “On est tous concernés, donc je pense que c’est une bonne idée de voter. Mais je ne crois pas qu’il faudrait freiner le projet de la Ville”. Pour lui, le vote ne changera rien, peu importe le résultat. “Je suis pour la démolition parce qu’on est dans un quartier enfermé. Nos jeunes ne sortent pas, ils habitent, ils dorment et vont à l’école ici. Ouvrir, ça éviterait la ghettoïsation de la Villeneuve”.
De son côté Françoise s’oppose aux démolitions, tout en ayant du mal à croire à l’efficacité du RIC. “Je voudrais que le vote ait un impact, mais les décideurs sont pour les démolitions. Et je les connais ces filous”, plaisante-t-elle avant d’ajouter dans un soupir « ils veulent faire venir des gens mieux que nous”.
Un peu plus loin, Virgil fume sa cigarette et ne cache pas sa colère. “Je suis directement concerné car je suis menacé d’expulsion. Je suis né là, au 10, maintenant j’habite au 20. J’ai grandi ici, j’y ai tous mes souvenirs. Pour moi c’est comme un petit village et j’en suis fier.” À ses yeux, ce n’est pas l’architecture qui pose problème mais “la politique d’attribution de logements”. Il se scandalise “depuis 20 ans on nous promet une réhabilitation, et là on nous impose un projet comme ça, sans concertation”.
La mairie prend ses distances
Les résultats du vote seront annoncés dimanche 20 octobre dans la soirée. La Ville a déjà indiqué a plusieurs reprises qu’elle n’en tiendrait pas compte. Elle n’a pas souhaité répondre à nos questions. La conseillère municipale déléguée à la politique de la ville, Maryvonne Boileau avait répondu au membre du groupe de travail sur le RIC par une lettre. Elle y expliquait que les élus ne souhaitaient “pas remettre en question les choix arbitrés, à une très large majorité, lors des conseils métropolitains et municipaux”. Elle indiquait également que “l’approche des élections municipales impacte le cadre réglementaire auquel sont soumis les élus locaux, ainsi que la collectivité. De ce fait, la Ville et les élus ne prendront pas part”, à l’initiative du référendum d’initiative citoyenne.
Une longue campagne d’information et une soirée de lancement
Même si les militants regrettent que la mairie n’ait pas même souhaité être observatrice du vote, ils n’en n’ont pas moins organisé et préparé le RIC. Pour cela, ils ont mené pendant des semaines une longue campagne d’information auprès des habitants, à base de porte à porte, de distribution de tracts et d’organisation de débats. Elle s’est achevée samedi 12 octobre, au coeur du quartier, avec des festivités. En fin d’après-midi, une cinquantaine d’habitants y ont assisté.
Certains d’entre eux se sont mêmes exprimés publiquement, comme André, qui voulait rappeler la situation. “On a déjà eu la démolition du 50. La démolition du 20 se prépare. Et derrière moi, le 90, 110 et 120 sont destinés à une étude de démolition. Les locataires délogés vont devoir accepter, là où ils vont aller, une augmentation de loyer ou une réduction de surface. Il ne faut pas qu’on se laisse faire “, lance-t-il.
La politique municipale d’urbanisme pointée du doigt par les militants
Pour les militants, c’est aussi le cœur du problème. Les nouveaux logements sociaux proposés aux bénéficiaires sont généralement plus éloignés du centre de Grenoble, voire dans des communes voisines.
C’est ce que dénonce Jean-Baptiste Eyraud, de l’association Droit au logement (DAL), lors de sa prise de parole. “Ceux qui n’ont pas les moyens de se loger, on les stigmatise, on les punit, on essaie de les renvoyer encore plus loin et de les cacher. Jusqu’où ira-t-on dans ces politiques de chasse aux pauvres ?”, s’indigne-t-il. “On sait bien ce qu’il va advenir des locataires qui habitent là. Ils vont être envoyés à la périphérie, dans des quartiers qu’ils ne connaissent pas, où ils n’ont pas forcément du lien, dans des logements plus chers, ou plus petits, avec des charges plus élevées, où il faudra payer le parking, la cave, etc”.
Le porte parole de l’association Droit au logement fustige la politique de la Ville. “En venant à la Villeneuve, je me dis que des logements sociaux vont encore être foutus en l’air. Comme tous les quartiers populaires, ça intéresse les spéculateurs immobiliers. Les municipalités sont, depuis une vingtaine d’années, à l’assaut des quartiers HLM populaires qui ont été rattrapés par l’urbanisation et qui présentent aujourd’hui un intérêt. Les politiques d’urbanisme municipales ont pour conséquences de changer les populations”.
Pour lui, le RIC de la Villeneuve est à suivre “quelque soit le résultat, ce qui va se passer ici est important “.
Les démolitions à la Villeneuve, une longue histoire avec la Mairie
Pour David Gabriel, membre de l’atelier populaire d’urbanisme de la Villeneuve, l’histoire de ce référendum d’initiative citoyenne s’ancre aussi dans des luttes sociales bien plus vieilles, contre des démolitions de logements sociaux. “Ces projets de démolition ne sont pas nouveaux. Déjà Alain Carignon (NDLR : maire de Grenoble 1983 à 1995) voulait démolir le 50 galerie de l’Arlequin”, explique le militant avant d’ajouter “En 1995, le maire Michel Destot a été élu en faisant campagne contre les démolitions à la Villeneuve. Ironie de l’histoire, c’est lui qui, à partir de 2008, ressort ce projet ».
L’histoire ne s’arrête pas là. “En 2014, le maire actuel, Eric Piolle a aussi été élu en disant qu’il était contre les démolitions. C’est pour ça que le 130 a été sauvé. Mais à partir de 2016, Eric Piolle a annoncé le projet de démolition du 20 galerie de l’Arlequin. À partir de ce moment là, la mobilisation a commencé” conclut David Gabriel.
Avec les élections municipales qui approchent, le dossier pourrait devenir un enjeu dans la campagne. Mais quoiqu’il advienne, le collectif contre les démolitions reste confiant. “Si environ plus de 500 personnes participent au vote, l’opération, réalisée avec nos moyens de citoyens sera réussie”.
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Un reportage réalisé par Augustin Bordet
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