Le 11 juillet une mobilisation de soutien à Julian Assange se tenait aux Invalides. Afin d’éclaircir certains points sur la situation de ce dernier, Radio Parleur a rencontré Jean-Philippe Foegle, juriste pour la Maison des Lanceurs d’Alerte.

 

L’arrestation de Julian Assange par la police Britannique le 11 avril 2019 signait le terme de sept ans de retranchement de celui-ci dans l’ambassade Équatorienne. Exactement trois mois après, le mouvement Revolución Cuidadana Francia organisait une manifestation de soutien devant les Invalides. Cette action visait aussi à protester contre la venue en France de Lenín Moreno, nouveau Président de l’Equateur, et contre sa “traîtrise” envers le fondateur de Wikileaks.

Neuf ans dans l’engrenage judiciaire

Pour rappel la plateforme numérique créée par Julian Assange diffuse des documents classifiés obtenus lors de fuites d’information, dites “leaks”. Elle s’est notamment fait connaître en avril 2010 pour avoir dévoilé des documents sur la guerre en Irak, en particulier une vidéo montrant des soldats américain tirant sur des civils (dont deux reporters de l’agence Reuters). Suite à cela, de nombreuses enquêtes seront lancées à l’encontre du citoyen australien par différentes agences gouvernementales.

Accusé d’agression sexuelle en Suède le 21 août 2010, peu de temps avoir révélé les informations évoquées précédemment, il est ensuite relâché et autorisé à quitter le territoire. Il est cependant arrêté en Angleterre, la Suède ayant finalement décidé de lancer un mandat d’arrêt. Jugé par la justice anglaise en décembre 2010, il obtient la liberté conditionnelle.

Le 19 juin 2012, il décide de se réfugier dans l’ambassade de l’Équateur, qui lui offre l’asile politique. Sa demande de ne pas être extradé en Suède vient en effet d’être rejetée par la Cour suprême du Royaume-Uni. Il craint à l’époque qu’une telle procédure ne soit qu’une première étape pour l’acheminer aux États-Unis, où il risque de très lourdes peines, pour haute trahison cette fois-ci.

L’extradition, un risque majeur pour Julian Assange

Un nouveau coup de tonnerre retentit dans l’affaire Assange en début de l’été 2019. Washington affirme que l’Australien, aujourd’hui détenu en Angleterre après une condamnation à cinquante semaines d’emprisonnement, sera extradé vers les États-Unis. Cette déclaration suit celle du ministre d’État britannique pour l’Europe et les Amériques, Alan Duncan, qui assurait que Julian Assange ne serait jamais extradé vers un pays où il risquerait la peine de mort.

Parmi les personnes rassemblées jeudi 11 Juillet, la complicité du gouvernement Équatorien est pointée directement. Devant les Invalides, on dénonce « une chose très très grave : le fait d’avoir remis Julian Assange à la police Britannique pour qu’il soit extradé vers les Etat Unis. » Sidoine Corbin-Occelli, militant du syndicat Snesup-FSU, s’insurge, lui, contre le traitement réservé à Assange : « on parle de torture, psychologiquement : il est à l’hôpital psychiatrique de la prison britannique ».

Jean-Philippe Foegle ajoute : « Plusieurs organisations internationales ont reconnu qu’il faisait l’objet de tortures psychologiques, […] donc, premier élément : Julian Assange fait l’objet d’un traitement qui n’est pas celui réservé à une personne qui aurait vocation à avoir un procès équitable. C’est déjà un mauvais signal de la part du gouvernement anglais lorsqu’il prétend qu’il respectera le droit à un procès équitable et qu’il ne procédera pas à son extradition vers un pays où la torture morale ou psychologique est appliquée, ou encore vers un pays où il risquerait la peine de mort ».

« Julian Assange, aux yeux d’un jury américain, est vraiment l’homme à abattre »

Ce que craignent les soutiens de Julian Assange, ainsi que les juristes, c’est notamment le traitement que risque celui-ci sous l’Espionage Act of 1917, une loi créée en temps de guerre pour juger en cour martiale les supposés espions. Elle permet entre autres de condamner à la peine capitale un·e accusé·e reconnu·e coupable d’espionnage. Or, comme nous le rappelle Jean-Philippe Foegle, Julian Assange assume tout : il ne pourra donc pas se défendre.

Le juriste insiste, tout en nuançant le scénario : « Julian Assange, aux yeux d’un jury américain, est vraiment l’homme à abattre […]. On imagine donc qu’on cherchera à lui imposer la peine maximale, probablement pas la peine de mort mais en tout cas assez d’années pour qu’il ne puisse plus en sortir ».

Ce qui sera jugé devant la Cour est si oui ou non ont été révélées, via la plateforme Wikileaks, des informations relevant du secret défense de l’armée américaine. Il est déjà considéré comme coupable d’espionnage du fait d’avoir assumé toutes ses actions publiquement, et dans ce sens, sur le sol états-unien il ne pourra qu’attendre sa sentence.

Un procès contre la liberté de l’information

Il est donc vital pour Julian Assange de rester dans le cadre du droit européen. Ce que vont défendre dans un premier temps ses avocats est le risque pour l’Angleterre de contrevenir à la Cour européenne des droits de l’homme en le livrant à la justice américaine. Dans un deuxième temps, il s’agira de les mettre en garde contre les conséquences pour la liberté de la presse d’une éventuelle condamnation de Julian Assange.

Est-ce un journaliste que l’on condamne pourtant ? Certes, grâce à sa plateforme, Assange a contribué à dévoiler des centaines de documents mettant à mal les gouvernements du monde entier. “Il ne rentre dans aucune des catégories traditionnelles : ce n’est pas un journaliste, ce n’est pas non plus un défenseur des droits de l’Homme”, explique Foegle. “Il ne serait qualifiable que via l’Espionage Act de 1917 aux Etat-Unis, et donc comme un espion”.

Le pire est ainsi à craindre d’après le juriste : « C’est la première fois qu’on poursuit une personne, qui se présente comme un journaliste, pour avoir reçu des informations. Si on maintient une définition aussi large de la défense nationale, on peut mettre Assange en prison mais on peut aussi mettre un journaliste du New York Times en prison pour avoir reçu des information classées secret défense ».

Un entretien réalisé par Jérémie Hertzog.