Reprise de la rue hors des cadres rituels et syndicaux, subversion joyeuse ou encore “foule haineuse” : depuis le mouvement contre la loi travail en 2016, de nombreux militant·es ont pris l’habitude de se retrouver en tête de cortège des manifestations parisiennes. Un “cortège de tête” au caractère inédit par sa composition et son imaginaire, souvent marqué par des affrontements avec les forces de police.

Alors que le ministère de l’intérieur, la préfecture de police – et même certains élus communistes – brandissent le 1er mai dernier comme étendard de ce qu’il faut éviter à tout prix aujourd’hui, Radio parleur s’y replonge – plus précisément du côté du fameux cortège de tête.

Premier mai 2018 : souvenez-vous. Les cheminot·es étaient en colère, les universités en ébullition. Alexandre Benalla encore incognito. La Macronie était si jeune, elle tremblait à peine, mais déjà au centre de toutes les attentions médiatiques et politiques, cette tête de cortège offensive, incontrôlable, rejetant en bloc les traditions syndicales pourtant bien installées.

C’est devenu l’un des rendez-vous traditionnels, à Paris, pour celles et ceux qui refusent de défiler à l’intérieur des cortèges syndicaux et politiques. Alors qu’à l’arrière se pressent les milliers de personnes rassemblées à l’appel de la CGT, de l’Union Solidaires, de la FSU et des fédérations franciliennes de FO. En 2017 et en 2018, le défilé du 1er Mai avait été marqué par les images d’une tête de cortège nombreuse, prête à en découdre avec les forces de police. Cette année encore, il provoque une “inquiétude particulière” chez Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. Suite aux nombreux appels à transformer Paris en “capitale de l’émeute” et alors que la mobilisation des “gilets jaunes” se poursuit depuis cinq mois, le gouvernement entend encadrer ce rassemblement social du premier mai par un dispositif policier “d’ampleur exceptionnelle”.

Lorsque l’imaginaire du cortège de tête s’invite sur les murs. Photo prise par un militant à Paris, dans le 10e arrondissement.

« Défiler avec des revendications, c’est important mais ça ne suffit pas »

Difficile de dater avec précision l’apparition du phénomène, mais une chose est certaine : il est apparu en France dans sa forme actuelle lors du mouvement contre la Loi Travail, en 2016. Dans cette tête de cortège s’agrègent des profils très divers, militant·es aguerri·es ou non, des antifas aux féministes en passant par les anarchistes, presque toujours marqué·es à gauche. Inspiré par la tactique du black bloc, le cortège de tête à la française se caractérise avant tout par l’idée de reprendre en main des manifestations très encadrées, sans réelle place pour l’initiative et qui ne proposeraient finalement plus qu’un trajet à parcourir sous la surveillance et le contrôle étroit des forces de police. Il s’agit alors de déborder, de réinventer, de se ré-approprier la rue. Adopter une attitude offensive, sortir de la passivité. Outil politique donc, mais aussi imaginaire collectif puissant.

Une pratique sans appel

Inutile de chercher un quelconque appel à former le cortège de tête, si ce n’est quelques appels anonymes publiés ça et là. Aucun parti ou centrale syndicale n’appelle à le former. Les réseaux sociaux jouent un rôle dans leur formation, la rumeur fait le reste. Ainsi, individus et groupes affinitaires se rejoignent et forment des groupes solidaires les uns des autres, se protégeant mutuellement par leur nombre.

A l’aube de ce premier mai 2019 – le constat est édifiant. La radicalité est devenu un mot d’ordre et le mouvement des Gilets jaunes, qui dure depuis plus de cinq mois, semble avoir définitivement enterré les manifestations traditionnelles – cortèges sages, ambiance fanfare et merguez. Les pratiques de revendications se sont multipliées : occupation de rond-points, blocages, manifestations spontanées et non déclarées, refus de la négociation et de la représentation : autant de pratiques qui confirment les intuitions de ce mouvement né en 2016 notamment. C’est l’occasion de donner la parole à ces manifestant·e·s sur leur vision personnelle de ce phénomène.

Un reportage écrit et réalisé par Tristan Goldbronn, Clara Menais et Ivan Vronski.