Dans son dernier ouvrage intitulé Un féminisme décolonial, Françoise Vergès propose de transformer les luttes féministes pour leur redonner leur potentiel révolutionnaire, en réfléchissant aux conséquences de la colonisation. Militante féministe et antiraciste, elle s’appuie sur une réflexion historique des vestiges de la pensée coloniale dans le féminisme français actuel pour défendre ses idées.
La grève des femmes de ménage d’ONET, société de nettoyage rattachée à la SNCF, ou celle des femmes de chambre du Holiday Inn de Clichy (que Radio Parleur avait suivi jusqu’à Bruxelles) sont des exemples très révélateurs de ce que peut être un féminisme décolonial.
Ces femmes, souvent racisées, c’est-à-dire socialement perçues comme non-blanches,effectuent des travaux de nettoyage et de soins dans des situations précaires. Les horaires décalés s’ajoutent à leur épuisement physique. Pourtant, elles sont peu considérées dans les luttes féministes françaises, plus préoccupées par la parité politique et l’égalité homme-femme au travail.
Un féminisme qui rejoue la “mission civilisatrice” de la colonisation.
Dans les mots de François Vergès, deux conceptions du féminisme s’opposent et semblent incompatibles. Le féminisme décolonial défendu tout au long de l’ouvrage par Françoise Vergès correspond à un combat collectif contre la “colonialité du pouvoir”. La colonialité, ce sont ces inégalités structurelles qui perdurent depuis la fin de la colonisation. Pour l’autrice, seul un féminisme antiraciste, anticapitaliste et anti-impérialiste peut remettre en question l’organisation inéquitable du monde.
Au contraire le féminisme civilisationnel, dont beaucoup se revendiquent aujourd’hui dans les pays occidentaux, « emprunte aux discours de la mission civilisatrice coloniale ». Ce discours suppose, selon l’autrice, une supériorité naturelle des réflexions sur les droits des femmes face à des territoires plus hostiles à l’égalité homme-femme.
“Une histoire coloniale passée qui reste un présent”
Très sensible aux temporalités des luttes, Françoise Vergès nous fait voyager dans les histoires militantes féministes, des années 1970 jusqu’à nos jours. En retraçant leurs évolutions, elle démontre combien le féminisme civilisationnel a pris le pas sur les combats antiracistes. Elle dénonce les contradictions d’un féminisme capitaliste insistant sur l’autonomie des femmes sans penser “le régime plus ou moins protecteur dans lequel elles évoluent”. Elle rappelle combien la République française refuse de penser les “quatre longs siècles d’esclavage, contre les quatre ans de la seconde guerre mondiale”.
Il semble, à ses yeux, que la question des discriminations individuelles prenne toujours le pas sur la “colonialité structurelle” des états néolibéraux. À cette histoire, s’ajoute aujourd’hui un fait nouveau : l’islam est devenu la nouvelle cible du “féminisme civilisationnel” dénonce Françoise Vergès. L’idée selon laquelle “l’islam est le patriarcat le plus difficile de la planète” justifierait de “libérer” les femmes musulmanes. Elle sont vues comme les victimes d’une emprise communautaire religieuse.
Pour la militante, l’espoir vient d’Amérique du sud, en Argentine, au Chili, au Brésil où les militantes décoloniales et féministes pensent les oppressions qu’elles subissent à la fois en tant que femmes et en tant que personnes racisées. Des discriminations qui concernent l’avortement ou encore la contraception : les femmes revendiquent une émancipation de l’influence occidentale et patriarcale. Des combats contre le néolibéralisme et le patriarcat qui inspirent François Vergès.
Le livre Un féminisme décolonial a paru en février 2019 aux éditions La Fabrique.