#Tous les mêmes. Vraiment ? Pas du tout, pour les Gilets Jaunes venus interpeller les journalistes et le ministre de la Culture aux Assises du journalisme 2019. Une présence critique utile, qui a un peu bousculé ce rendez-vous professionnel consensuel. Radio Parleur en a profité pour leur tendre le micro. 

Aux Assises du journalisme de Tours, journalistes connus et anonymes se croisent, échangent cartes de visite et bon conseils, CV et tuyaux. Les conférences sont ouvertes, et le public y a sa place au milieu des étudiant.e.s en journalisme et des ateliers d’initiation à la radio. Franck Riester, ministre de la Culture, a fait le déplacement vendredi 15 mars pour prendre la parole…sans la donner aux journalistes présent.e.s qui n’ont pas pu poser une seule question. Tout comme Les Gilets Jaunes venus l’interpeller.

Charte de Munich

“On est aussi venus discuter avec des journalistes…nous !” sourit Yannick en s’asseyant sur le canapé du studio ouvert, installé par Radio Campus au beau milieu des Assises du journalisme à Tours. Avec ses 4 camarades, il fait partie du groupe baptisé “Gilets Jaunes Constituants”. Venu.e.s tout droit de l’Essonne, ils et elles ont en main la photocopie de la Charte de Munich, signée en 1971 par la Fédération européenne des journalistes, qui délimite les contours de leur éthique professionnelle. « Dans le premier article, c’est déjà une contradiction, explique Yannick. Les journalistes doivent être au service de la vérité quel qu’en soit le coût, mais dans un autre article, il est écrit qu’ils peuvent aussi se retirer si cela va contre leurs convictions. » Un paradoxe effectivement. Pour autant, si se mettre en danger pour faire émerger une vérité relève du devoir, il n’est pas contraint par des règlements objectifs, comme en médecine par exemple. En réalité, ce devoir des journalistes n’est inscrit dans aucun texte de loi.

La bataille des chiffres

« Sur l’acte 17, samedi 9 mars, il suffit d’additionner les chiffres de 68 manifs de Gilets Jaunes donnés dans la presse locale, sans les ronds-points, sans les petites villes ni une vingtaine de grandes villes comme Nantes ou Metz, ou Paris. J’arrive au même chiffre que Castaner : 28 600, explique Yannick. Vous ne croyez pas qu’il y a un problème ? » Le comptage des manifestant·e·s, vieil enjeu de pouvoir entre les autorités institutionnelles et ses contestataires, cristallise l’agacement contre des professionnel・les qui ne prennent pas toujours le temps d’un fact-checking systématique.

Sur le pourquoi, le groupe des Gilets Jaunes Constituants pointe surtout les conditions de travail des journalistes dans les rédactions. « Nous faisons la différence entre les pigistes au sein des rédactions mainstream, les médias indépendants…On ne met pas tout le monde dans le même sac. » Dans leur viseur, les éditocrates, ceux et celles qui donnent leur opinion sur tout et rien, sans d’autre spécialité scientifique ou intellectuelle que de répondre aux demandes de celles et ceux qui les invitent. Les hiérarchies des médias, rédacteurs·trices en chef·fe, directeurs·trices de rédaction, sont aussi désigné·e·s. Pour ces Gilets Jaunes, ce n’est pas la capacité des médias à produire de l’information qui pose problème, mais le processus qui permet de décider ce qui doit faire l’actualité et comment.

« BFMTV se présente comme neutre »

Le positionnement des médias, ces Gilets Jaunes Constituants ont pris le temps de l’analyser, reprenant à leur compte des éléments critiques développés depuis plusieurs décennies par l’association Acrimed (avec qui Radio Parleur a signé un appel commun le mois dernier) ou encore François Ruffin (qui écrivit avant d’être député France Insoumise “Les petits soldats du journalisme”). « Nous ce qu’on voudrait, c’est que les médias disent plus clairement d’où ils parlent, » explique Camille. Le problème est moins la « neutralité » impossible que le fait de s’en déguiser. Une question bien peu posée dans les diverses conférences des Assises.

Quel est pour elle et eux, le média qui revendique le plus cette position de « bon sens populaire » et « d’objectivité journalistique » ? En choeur, la réponse est immédiate : BFMTV. « Quelle impartialité de l’information peut-il y avoir quand ces médias sont financés par les puissances d’argent, qui en même temps financent des politiques ? Quelle est la séparation entre le quatrième pouvoir que sont les médias, et le cinquième pouvoir que sont ces puissances d’argent ? »

Journalistes, les Gilets Jaunes ?

Depuis le 17 novembre 2018, premier acte du mouvement des Gilets Jaunes, plusieurs automédias ont vu le jour. Vécu, qui racontait notamment des histoires de manifestant·e·s (dont la photo de couverture reprend l’infographie du Monde Diplomatique : « Médias, qui possède quoi ? »). Le Mur Jaune, qui répertorie les blessé·e·s. Le Nombre Jaune, page Facebook qui comptabilise les Gilets Jaunes sur les rassemblements et manifestations… Le compte Youtube des Gilets Jaunes Constituants regorge lui aussi de vidéos de leurs actions devant des grands médias, où des banques.

Alors, journalistes à la place des journalistes, les Gilets Jaunes ? « Pas du tout. Nous avons inventé une méthode de manifestation, c’est tout. » Une méthode qui leur a permis de discuter avec quelques journalistes aux Assises de Tours. « Surtout les étudiants, en fait. Ils sont réceptifs, parce qu’ils comprennent très bien ce qu’est la précarité. » Derrière notre plateau radio, Pascale de la Tour du Pin, qui tient la matinale de LCI, et Gilles Bouleau, présentateur du journal de 20H sur TF1, discutent autour d’un café. Ils passent sans s’arrêter pour accéder à la scène. Une scène sur laquelle on leur a donné, eux, carte blanche.

Un entretien réalisé par Violette Voldoire avec les moyens techniques du réseau Radio Campus.