Dès la fin de la première journée de mobilisation de samedi, le rendez-vous était lancé : “Acte 2, tous à Paris” ! Plusieurs milliers d’entre eux ont convergé dans les rues de la capitale. Que n’a-t-on pas entendu, “manifestation d’extrême-droite”, “casseurs”, “scènes de guerre”… Radio Parleur y était, et vous raconte cette incroyable journée de mobilisation du 24 novembre sur les Champs-Élysées.

Après une semaine de tergiversations sur les possibles lieux de manifestation – la préfecture de Police ayant interdit la place de la Concorde – les gilets jaunes semblaient déterminés à occuper les Champs-Élysées ; et à se rapprocher le plus possible de la place interdite. Commençait alors une longue partie de cache-cache entre manifestants et forces de l’ordre. Une journée dont la “plus belle avenue du monde” selon les guides touristiques va se rappeler longtemps : les dégâts sont estimés à près d’un million d’euros. Magasins de luxe pillés, boutiques et restaurants dévastés, ici les symboles de la richesse ostentatoire en ont pris un coup.

Des manifestants novices, portés par un mouvement populaire

Dès 10 h samedi matin, les premiers jets de gaz lacrymogène sont lancés sur la foule. Il n’y a pas de cortège, mais plutôt des grappes de participant.es en gilets jaunes. Les groupes sont de tailles variables, se font et se défont au gré des charges policières.

Entre les charges, au niveau du rond-point des Champs-Élysées, je discute avec Cathy : elle a 43 ans et comme beaucoup ici, elle manifeste pour la première fois. Elle me parle des cités où elle a grandi, où “on suce les glaçons” tellement il n’y a rien. Elle me parle de sa mère retraitée qui “mange du périmé parce qu’elle n’a pas un centime” et de son fils de 20 ans “qui ne trouve pas d’entreprise pour le former”.

Au-delà toutes ces injustices, elle est choquée par la violence policière. “Ils nous gazent, on chante devant eux et ils nous chargent. Ça fait quatre fois que je me fais gazer là ! À 43 ans, ca y est c’est bon je suis dépucelée !”

Des barrages de Sologne aux barricades parisiennes

Un peu plus loin, je rencontre Philippe. Il est au centre d’un petit groupe qui discute activement. La plupart viennent de Romorantin, en Sologne, et font le déplacement à Paris pour la première fois. Ils ont passé la semaine sur des barrages filtrants près de chez eux.

Philippe habite près de Provins. Lui aussi a quelque chose à dire sur la vie chère et la répartition des taxes. “Vous savez, l’Île-de-France où il n’y a pas de transports… Moi j’ai une fille handicapée, j’habite à 6 km d’une gare. Et je paye le STIF [Syndicat des transports d’Île-de-France] !” Il estime “payer pour rien” des transports publics qu’il ne peut même pas utiliser.

Le sujet de la conversation revient, là aussi, sur la violence policière. Ces Solognots, d’habitude plutôt solidaires des forces de l’ordre, trouvent aujourd’hui la réponse sécuritaire disproportionnée. “On était pacifiques, peinards. Gilets jaunes quoi… On rigolait même avec eux. Et sans sommations, bam, ils nous ont chargés ! Du gaz, des grenades pour nous sonner… Alors la colère monte. Et là, on commence à voir les barricades monter.”

Face-à-face tendu avec les forces de l’ordre

Tout au long de l’après-midi, les affrontements continuent et se font de plus en plus rudes. Certains dépavent la chaussée avec des blocs de chantier, beaucoup sont mis à mal par les gaz lacrymogènes. Près du concessionnaire Renault des Champs-Élysées, une barricade s’enflamme. La scène est de plus en plus insurrectionnelle, alors que la nuit tombe. La plupart des gens regardent, médusés, l’ampleur des dégâts tandis qu’un petit nombre s’active à consolider la barricade, avec des objets pris dans les chantiers alentours. Blocs de béton, scooters, Vélibs… les barricades prennent de la hauteur.

Autour d’un deux-roues en feu, on se réchauffe les mains. J’y retrouve Philippe : “Ces gens là maintenant vont rentrer en province et vont expliquer à tous leurs amis dans les clubs de crapette, leurs clubs de je ne sais quoi… Que c’est en face que la violence a commencé. Macron, il a tout perdu. Ca ne m’étonne pas qu’il soit à l’étranger. Qu’il se souvienne de De Gaulle en 68 ! Et il était bien plus populaire que lui”. Les autres approuvent de la tête. Ça et là, on déplore la violence “des casseurs” qui risquent de décrédibiliser le mouvement. Partout, on est pourtant déterminés à se retrouver la semaine prochaine.

Reportage Clara Menais / Montage Ivan Vronksy