A Saint-Brieuc, le 17 novembre dernier, des gilets jaunes un peu particuliers ont préféré pédaler au lieu de s’aventurer dans les blocages routiers. De quoi démontrer qu’il existe des alternatives vertes à la fatalité de la hausse du carburant.
Un samedi gris et froid à 14h30, dans un chef-lieu de département qui sert d’exemple à des webdoc sur la désertification des centres des villes moyennes. On ne voit pas grand-monde dehors. Alors imaginez, au premier jour d’une forte mobilisation des gilets jaunes, toujours active localement six jours plus tard, le peu d’âmes vivantes croisées. Pourtant, une occupation d’espace public d’un autre genre se déroule.
Les habitués de la cause du vélo sont familiers du terme de « vélorution ». Une sorte de vélo-pride destinée à rendre visible la cause et embêter les automobiles quelques minutes. Celle-ci, initiée par Vélo-Utile, association briochine qui anime un atelier d’entretien autogéré et promeut l’usage de la bicyclette, a pris une visibilité médiatique attendue. Entre 200 et 250 cyclistes (220 selon le décompte des organisateurs) suivent un trajet balisé, un tour de centre-ville.
« Changez de pompe »
La mayonnaise médiatique nationale monte déjà depuis quelques jours quand l’association publie un communiqué intitulé « Action du 17 novembre, Essence trop chère ? Changez de pompe ! En réponse à la mobilisation nationale du mouvement des “gilets jaunes” qui appelle à bloquer la circulation automobile ce samedi 17 novembre pour protester contre la hausse des prix du carburant, l’association Vélo Utile se mobilise pour faire entendre une autre voix. »
Passer de la pompe à essence à celle qui gonfle nos pneus de sauveurs de planète, la trouvaille est bonne, digne d’une titraille de Libé. Et puis, des bobos de zones urbaines, de bons gilets jaunes-verts, aisément opposables aux gilets jaunes imprévisibles des immenses parkings de zones commerciales nécessaires à leur voitures polluantes, c’est aisé à pitcher en conf’ de rédac.
Le bon et le mauvais gilet jaune
La presse locale couvre évidemment l’événement. La nouvelle est annoncée sur le service public radiophonique. Enfin un angle pour traiter ces manifestations : une contre-manifestation, un sabotage du mouvement ! Nul besoin de lire en entier le communiqué de Vélo-Utile. Il suffit simplement de titrer sur “une contre-manifestation de cyclistes”, RTL, 20Minutes, BFM, LCI, FranceInfo... La rustine est posée, la roue de l’actualité peut continuer à tourner.
D’ailleurs, sur les réseaux sociaux de l’association, les commentaires de gilets jaunes défavorables à l’initiative pro-vélo affluent. On l’accuse d’être « encore une association de bobo écolo des villes ! », ou de détourner la cause : « bande de nazs, on parle de hausse du carburant, vous faites pas avancer le shmilblik avec vos vélos ». Bons communicants, les militants de la petite reine répondent avec des smileys et des « avez-vous lu notre manifeste ? », sans rentrer dans l’invective trollesque.
Le dissensus vélorutionnaire
La contre-manifestation vise à faire échouer une autre manifestation : fascistes contre antifascistes, mouvements LGBTI contre Manif’ pour tous, chasseurs contre écolos… Mais là ? Ces cyclistes urbains en gilets de haute visibilité, qu’ils portent d’habitude par sécurité, ne croiseront jamais les gilets jaunes qui organisent les opérations escargot et les barrages filtrants durant leur action, dans les zones périphériques de la ville. Nul sabotage, nul clash.
Si certains participants à cette vélorution ne tiennent pas à être associés aux opérations du mouvement des gilets jaunes, estimant « qu’ils se trompent de cible », la majorité « comprend » et « trouve dégueulasse de cracher sur ceux qui n’ont pas d’autre choix que de prendre la bagnole ». Tous en revanche voient leur opération du 17 novembre comme une manifestation alternative, destinée à promouvoir une initiative trop peu légitime aux yeux de la société française.
Une solution sous-exploitée
Car après tout, comme l’expliquait la porte-parole de Vélo-Utile lors de son intervention devant la mairie briochine, ce qui explique l’écart d’usage de la bicyclette entre les Pays-Bas et notre cher pays ne tient pas tant du relief, de la topographie ou d’un désamour du cyclisme (en témoigne le culte annuel de la grande boucle chaque juillet). Il s’agirait plutôt de barrières mentales : des cols infranchissables plus faciles à gravir qu’on ne le soupçonne.
Bien sûr, on ne peut pas pédaler partout, ni dans n’importe quelle condition physique. Le vélo n’est pas la seule solution, mais il a le mérite d’en être une, concrète, disponible. Et depuis mi-septembre, notre gouvernement a pris le guidon. Une vélorution de nos politiques publiques, financièrement limitée pour l’instant, bien trop modeste comparée à la suppression de l’ISF ou le gouffre financier du CICE.