Une quarantaine de faucheurs d’OGM sont accusés d’avoir détruit des parcelles de colza mutagène appartenant à la coopérative Dijon Céréales. Un procès qui met en exergue l’opposition entre l’agriculture paysanne traditionnelle et les grands céréaliers productivistes.

“A quoi reconnaît-on une plantation d’OGM ? Elle est entourée par des CRS !” Dans la salle du centre social Le Phare, à Dijon, l’ambiance est détendue même si, blagues à part, les faucheurs d’OGM réunis ici avouent être un peu anxieux à l’idée de leur procès, qui débute le lendemain jeudi 15 novembre. 38 d’entre eux doivent comparaître devant le tribunal pour avoir fauché, en novembre 2016, des parcelles expérimentales de colza dit “mutagène”. Des plants appartenant à la coopérative Dijon Céréales. Radio Parleur était sur place et vous donne les principaux éléments à retenir de ce procès, dont la délibération aura lieu le 17 janvier 2019.

C’est quoi une plante mutagène ?

Cher lecteur, ne fuyez pas devant ce terme un peu barbare, même si vous n’avez pas de doctorat en agrochimie. Pour comprendre l’enjeu du dossier, il faut se pencher sur la définition des OGM. Il s’agit d’un organisme vivant (ici, un plant de colza) dont l’ADN a été modifié pour lui conférer un caractère que la plante ne présente pas naturellement, comme une résistance à un insecte ravageur, un champignon, ou un pesticide. Une première technique de modification, appelée transgénèse, consiste à rajouter un morceau d’ADN d’une autre espèce dans la plante que l’on souhaite transformer. Une seconde technique, appelée la mutagénèse, change le génome de la plante par mutation, sans ajout de matériel génétique extérieur. Cette mutagénèse était jusqu’en juillet dernier exclue de la règlementation européenne concernant les OGM. D’où son petit surnom d’OGM caché. Une aberration pour de nombreuses associations écologistes qui sont montées au créneau et ont obtenu satisfaction auprès de la Cour européenne de justice. Ces plantes mutagènes sont désormais officiellement reconnues comme des OGM. Et donc interdites de culture en France, depuis cet été. Ce sont précisément ces plants-là, produits par et propriété intellectuelle de BASF, que les faucheurs ont détruit il y a deux ans, alors qu’ils n’étaient pas encore interdits.

L’huile de tournesol et de colza est-elle un poison ? Pancarte déployée par les militants anti-OGM pendant le procès des faucheurs à Dijon. Photo Laury-Anne Cholez

L’huile de friture est-elle un poison ?

Pour faire comprendre au tribunal le danger de ces plantes au patrimoine génétique bricolé dans les laboratoires, les faucheurs ont appelé à la barre huit témoins. Des scientifiques bardés de diplômes qui tous se sont inquiétés des conséquences sur la santé et l’environnement. Ils ont estimé que le principe de précaution n’était pas respecté. Certains parlant même d’une science “inféodée aux lobbies industriels”. Quant aux faucheurs, ils ont multiplié les témoignages poignants, avec de nombreux exemples de cancers et autres malformations dues, selon eux, aux pesticides employés (aussi produits par BASF) pour traiter ces plantes OGM. Face à eux, des agriculteurs de Dijon Céréales sont venus défendre leur point vue, estimant qu’il est inadmissible de s’introduire dans une propriété privée pour y détruire le travail d’autrui. Un seul expert, agronome, est venu expliquer l’intérêt des OGM devant la cour.

Costume ou t-shirt, il faut choisir

La confrontation entre deux mondes : celui de l’agriculture conventionnelle, productiviste, qui utilise engrais et pesticides pour produire toujours plus, fait face aux paysans traditionnels, tous en bio. Un fossé politique, social et même vestimentaire. Dans la salle du tribunal, il était aisé de distinguer les membres de Dijon Céréales – vêtus de chemises, rasés de près et mains soignées – des faucheurs volontaires, aux t-shirts blancs un peu fatigués, pantalons larges, cheveux en bataille et terre sous les ongles. Il faut dire que la plupart d’entre eux ne gagnent pas grand chose. Rares sont les prévenus qui ont déclaré à la barre plus de 1000 euros de revenus mensuels. Ces deux mondes ne se comprennent pas, voire se méprisent mutuellement. “J’ai ressenti beaucoup de mépris de la part des gens de Dijon Céréales qui nous prenaient pour des doux rêveurs,” explique une faucheuse volontaire. “Mais je voudrais savoir ce qu’ils vont dire plus tard à leurs enfants ?”

La santé oui – les OGM non. Banderole déployée par les faucheurs d’OGM pendant leur procès à Dijon. Photo Laury-Anne Cholez

Les faucheurs sont-ils anti-progrès ?

C’est une critique souvent entendue et répétée par les pro-OGM : les faucheurs sont contre le progrès et vont porter un coup fatal à la recherche agronomique, indispensable pour permettre de trouver des variétés capables de s’adapter aux évolutions climatiques. Et pourtant, depuis des millénaires “nos techniques paysannes nous permettent aussi d’adapter nos semences. C’est le principe de la sélection,” explique un faucheur. Nous aurions aimé comprendre l’importance de ces plantes au génome modifié pour l’activité de la coopérative Dijon Céréales (350 à 400 millions d’euros de chiffre d’affaires), mais le directeur présent à l’audience a refusé toute interview, visiblement indigné de la retransmission de l’audience sur twitter par votre serviteure…