Vendredi 14 septembre, le verdict a conclu cinq ans de procédure, neuf jours d’audience et dix heures de délibération. Esteban Morillo et Samuel Dufour, ex-skinheads ont été condamnés à 11 et 7 ans de réclusion criminelle. Ils comparaissaient pour des « violences volontaires » sur Clément Méric. Après près de 10 heures de délibérations, le tribunal les finalement reconnus coupables d’avoir causé la mort du jeune militant antifa. Pendant deux semaines, la salle d’audience a essuyé les pleurs des skins, la colère des antifas, la dignité de la famille Méric.
Couacs et amnésies
Le premier jour, toutes les caméras sont braquées sur l’entrée de la salle d’audience Georges Vedel. Problème : l’accusé Samuel Dufour est porté disparu et reste injoignable. Le jeune homme de 25 ans à la carrure robuste ne se présente qu’en début d’après-midi, retardé par une arrestation par la police aux abords du tribunal. Autre élément perturbateur : Serge Ayoub, leader du mouvement d’extrême-droite Troisième Voie dont les accusés se disent « sympathisants » s’est fait porter pâle. Un faux-départ pour un procès qui peinera à faire éclater la vérité.
Dans une salle surchauffée et lourde de tensions, on arrête de compter les « je ne sais plus. » Une amnésie collective qui touche les accusés dès le départ, alors que les jurés tentent d’appréhender leur personnalité. « Je ne sais pas » répond Esteban Morillo, auteur du coup mortel porté à Clément Meric, lorsqu’on le questionne sur son exclusion du CFA. Le Président du centre de formation l’avait pourtant renvoyé pour des problèmes de comportement et port de tenue à caractère néonazie. « Je n’ai jamais entendu parler d’antifas avant l’affaire » affirme Samuel Dufour lors de son audition. Un syndrome d’oubli qui laisse perplexe l’avocat général « Comment peut-on oublier tant de choses quand on est si jeune… des choses très sérieuses, des opinions très particulières ? »
« Une scène d’une vingtaine de seconde »
La présidente du tribunal, Xavière Simeoni tente d’éclairer les témoignages qui divergent sur la rencontre fortuite entre les antifas et les fascistes dans la vente privée de vêtements Fred Perry. Un élément, retenu comme circonstance aggravante, demeure central : l’usage d’un poing américain par l’un des skinheads.
Si cinq des témoins directs évoquent un tel objet pour asséner le coup fatal, les expertises médicales ne peuvent conclure en ce sens. Alors que la photo de l’autopsie de Clément Méric est projetée dans la salle sous les yeux des proches, un médecin conclut, scanner à l’appui, à « une fracture des os propres du nez. » Chaque ecchymose sera scrutée. Au-delà des coups, la volonté derrière les actes est questionnée. Si ce jour-là, « personne ne veut baisser sa culotte » comme le souligne élégamment l’agente de la brigade criminelle à la barre, il en est parfois de même en salle d’audience, lorsque la défense et les parties civiles se renvoient la balle sur la notion de provocation. Après cinq ans d’enquête, le flou demeure.
« Il avait toute une vie devant lui »
Si les accusés ne prononcent quasiment jamais le nom de la victime, Clément Méric existe dans la salle d’audience par les discours de ses proches. « Il avait 18 ans quand il est mort » rappelle Agnès Méric, sa mère, avec des sanglots dans la voix au début de son témoignage. Reprenant progressivement une voix claire et posée, elle s’attache scrupuleusement à décrire la personnalité de son fils devenu en grandissant « un garçon de convictions […] militant avec Solidaires et dans des manifestations contre le racisme et l’homophobie. »
Se tenant droite, habillée d’un chemisier à fleurs, elle attend du procès « le respect de la mémoire de Clément. -Voulez-vous vous adresser aux accusés ? » demande la présidente, un silence d’or régnant dans la salle. « Je ne sais pas… Est-ce que, eux, veulent nous dire quelque chose ? » répond-elle avant d’ajouter « Si on est humain, on doit se sentir concerné par quelque chose d’aussi important. » Les larmes roulent alors sur les joues du bien bâti Esteban Morillo qui, debout, se confond en excuse « Je suis sincèrement désolé, je ne sais pas quoi faire, quoi dire, … je n’aurai jamais voulu être là. »
Un crime collectif
Malgré les pleurs de l’ancien skinhead, les jurés ont choisi de retenir l’argument d’une responsabilité collective développé par l’avocat général, qui requiert 12 ans de prison pour Esteban Morillo. Une peine jugée trop sévère par Maître Maisonneuve, son avocat. « On ne condamne pas à 12 ans de réclusion criminelle un jeune homme sur des impressions et des hypothèses » argumente le pénaliste chevronné avant de décrire les faits comme « une bagarre de clans. » A l’opposé, Maître Saint-Palais, l’avocat de Agnès et Paul-Henri Méric s’est attaché à repolitiser les faits et redorer l’image d’une victime qu’il dépeint en chef de meute. « Clément a été un citoyen qui a vu des gens arborant des symboles nazis, il n’a pas baissé les yeux. Et je dis que nous devrions être fiers de ce garçon qui n’a pas baissé les yeux » assène-t-il d’un ton théâtral.
Au terme de près de 10 heures de délibérations, le tribunal a finalement condamné Esteban Morillo et Samuel Dufour à 11 et 7 ans de réclusion criminelle pour « Violences volontaires ayant entraîné la mort, en réunion et avec arme. » Le troisième homme, Alexandre Eyraud, a été acquitté. Les deux ex-skinheads d’extrême-droite ont fait appel de leur condamnation.