La loi asile et immigration doit être présentée en février au Conseil des ministres. Elle accélérera considérablement les procédures de demandes d’asile. Pour les organisations qui défendent les réfugiés, le message du gouvernement est clair : il faut expulser plus, et plus vite, notamment les dublinés. Parmi les outils dont dispose déjà l’État, il y en a un, pas très couture, nommé PRAHDA. Soit Programme d’Accueil et d’Hébergement pour les demandeurs d’asiles. Dans les faits, il permet surtout de contrôler les réfugiés et de les assigner à résidence, grâce à un ingénieux système de “partenariat public-privé” d’un nouveau genre.

“Ce truc-là, c’est de la saloperie.” Cette phrase, prononcée par une militante lors de la dernière Fête de l’Humanité donne une idée de ce que les organisations et collectifs d’aide aux éxilé.es pensent du PRAHDA. Un acronyme qui signifie Programme d’Accueil et d’Hébergement des Demandeurs d’Asile. Pensé dès 2016 par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, il a pour objectif d’accueillir pendant 45 jours, renouvelables une fois, des demandeurs d’asile qui n’ont pas encore déposé leur demande, ou bien qui attendent une réponse de l’administration. Il reçoit aussi les fameux “dublinés” qui doivent être renvoyés vers le pays où ils ont déposé leurs empreintes la première fois. Le centre est le lieu où l’administration les assigne à résidence, en attendant leur expulsion.

L’objectif affiché du ministère est clair : “Alors que le coût moyen d’une journée d’hébergement avec assistance sociale est estimé à 23 euros TTC, le coût journalier moyen des nouvelles places d’hébergement est estimé à 18 euros TTC, soit une économie de 82 millions d’euros sur 10 ans”, indique le ministère. Quoi de mieux que d’acheter directement des hôtels ? L’État jeta alors son dévolu sur un parc immobilier particulièrement bien implanté en France.

Avant de devenir des PRAHDA, 62 hôtels Formule 1, aux chambrettes minuscules dotées d’une ou plusieurs couchettes, d’une douche et de toilettes, appartenaient au groupe Accor. Selon une formule un peu spéciale, et totalement inédite dans le secteur social, ils sont rachetés par la Société Nationale Immobilière, où SNI, qui agit pour le compte de l’Etat. Au printemps 2016, elle constitue un fond de 200 millions d’euros pour acquérir ces hôtels bas de gamme. Un “fond à impact social” qui porte le doux nom “d’Hémisphère.”

Ecoutez Jean-Claude Boual, président du collectif des associations citoyennes et ancien syndicaliste, a publié un article sur les “fonds et contrats à impact social’. Il explique en quoi il considère que ce système est pervers.

Sur les 200 millions d’euros, la moitié provient d’un prêt du conseil de l’Europe. L’autre moitié du capital est apportée par Aviva France, BNP Paribas Cardif, la Caisse des Dépôts, CNP Assurances, la MAIF et PRO BTP. Des privés à qui André Yché, patron de la SNI, a promis un taux-plancher de 3,5%. Comprendre : un rendement sur leur investissement plutôt séduisant, puisque le placement est largement garanti par SNI, filiale de la Caisse des Dépôts, dont les fonds sont en partie constitués par l’épargne. Comment peut-on promettre un retour sur investissement d’un centre d’accueil pour réfugiés ? Le dispositif, sorte du Partenariat public-privé appliqué au social, est inspiré des socials bonds anglo-saxons.

Le problème, explique Jean-Claude Boual, c’est l’argent qui revient dans la poche des privés. Et quand c’est l’État qui paie le loyer, ça veut dire que c’est le contribuable, vous, moi, tout le monde.” Ici, les “loyers” ne peuvent être payés par des réfugiés qui n’ont rien ou pas grand chose. Chaque nuitée coûte entre 15,50 euros et 17,50 euros par personne hébergée et par nuit, selon les calculs de La Cimade. Des nuitées payées par l’État, sur factures, adressées directement au service comptabilité du ministère de l’Intérieur. “Pas sûr que ça suffise à générer des revenus immobiliers…Mais qu’à cela ne tienne, la Caisse des dépôts garantit le placement !” s’insurge Jean-Claude Boual.

En clair, si les PRAHDA ne rapportent pas assez d’argent grâce aux chèques signés par l’État, la Caisse des dépôts compensera le manque à gagner. Avec l’argent qui sert à payer les retraites d’un Français sur cinq. “Finalement, conclut Jean-Claude Boual, le résultat sera le même qu’avec les PPP qu’on utilise dans le BTP. Cela coûtera plus cher, parce qu’il faudra payer les 3,5% de rendement immobilier, mais aussi le cabinet privé qui évaluera tout ça. En Angleterre, ils ont déjà laissé tomber ce système pour la réinsertion des détenus parce que c’était trop cher et que ça ne fonctionnait pas !” Comme avec les PPP, l’investissement fait miroiter une économie de 40% pour l’État sur l’hébergement d’urgence.

Même pas de draps sur les lits

Une autre critique adressée par les associatifs, c’est la façon dont ces centres sont gérés. La société d’économie mixte Adoma, ex-Sonacotra (foyers de jeunes travailleurs immigrés), a remporté l’intégralité de l’appel d’offre en septembre 2016. “Pas étonnant, c’était calibré pour ça,” soupire Gérard Sadik, responsable des questions asile à La Cimade. Les premiers PRAHDA ont ouvert leurs portes à l’été 2017. Dans le cahier des charges qui incombe au gestionnaire, il y a l’aide d’urgence, les vêtements, la nourriture, l’aide sociale et médicale.

Dans la réalité décrite par des bénévole de plusieurs collectifs, l’accueil se résume un lit et une douche dans une zone industrielle ou excentrée des villes. Agnès Cluzel, militante au MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), suit plusieurs réfugiés qui ont intégré ces centres : “Rien n’était prévu, pas de draps, pas de vêtements, rien pour faire la cuisine, rien.” Une histoire qui se répète ? La gestion rappelle celle du camp de l’avenue de Blida, à Metz. Egalement géré par Adoma, l’accueil s’y résume à un gardiennage privé à l’entrée et à quelques tickets-repas distribués au compte-goutte. “Comme d’habitude, ce sont les bénévoles sincères et dévoués qui viendront faire le boulot à l’oeil ! s’insurge Jean-Claude Boual. Il amèneront des vêtements, de la nourriture, s’occuperont des dossiers administratifs. Ce sont eux qui créent la valeur, sauf qu’eux ne sont pas payés, ils sont invisibles.”

Des employés des Formules 1 réembauchés comme travailleurs sociaux

Au niveau de l’accompagnement social, cela semble aussi compliqué. La promesse du cahier des charges est claire, Adoma doit assurer un suivi des résidents, les informer sur le droit d’asile, aider à la scolarisation des enfants hébergés, veiller au relogement des personnes à leur sortie. Gérard Sadik de La Cimade est beaucoup plus circonspect. En bon juriste, il relève plusieurs incohérences. “D’abord, on sait que des anciens employés des Formules 1 ont été repris à des postes de travailleurs sociaux au moment du rachat, pour respecter obligation contractuelle : il faut à Adoma 40% de travailleurs sociaux.” Difficile à trouver dans des délais courts… “Ce n’est pas très sérieux, mais surtout, comment voulez-vous, même avec toute leur bonne volonté et ils en ont, qu’ils accompagnent des demandeurs d’asiles se retrouvant dans des situations tellement rocambolesques, que même nous, juristes et avocats, nous avons du mal à comprendre ?”

Adoma contraint de participer de facto à la surveillance des migrant.es

De fait, les témoignages des travailleurs sociaux embauchés dans les PRAHDA parlent de conditions de travail difficiles, avec beaucoup de demandeurs d’asile, peu de temps, et surtout, un rôle très ambigu face aux dispositifs de contrôles policiers et administratifs. “La police ne rentre pas dans les centres pour arrêter les gens, précise Gérard Sadik. En revanche, on y assigne à résidence les réfugiés déboutés de leurs demandes d’asile ou les dublinés, dans l’attente de leur renvoi. C’est donc un cadre légal dans lequel le gestionnaire qui fait l’accueil participe aussi à la surveillance. Adoma doit par exemple signaler des absences du centre. Cela veut dire suppression de l’hébergement ET de l’allocation pour les demandeurs d’asile. “

Des antichambres pour l’expulsion des dubliné.es

La Cimade dénombre 6187 assignations à résidences de personnes migrantes en France en 2016, et le chiffre grimpe chaque année. “Pour nous, la fonction principale de ces PRAHDA est de servir d’antichambre à la rétention administrative qui précède l’expulsion pour les dublinés, “ explique Gérard Sadik. L’affaire est une question de chiffres. Près de 36 000 adultes ayant déposé une demande d’asile en France auraient du être renvoyés dans un autre pays européen l’année dernière. “Ça fait 3000 dublinés par mois. Vous avez un peu plus de 5000 places dispos en PRADHA, dont plusieurs sont situés en marge des villes, à proximité immédiate des grands aéroports : à Lille, à Vitrolles, à Géménos…” Gagner en fluidité dans la rétention “light” qu’est l’assignation à résidence pour expulser les dublinés plus rapidement, voilà qui semble conforme au discours de fermeté et d’efficacité d’Emmanuel Macron à Calais au début de l’année.

“En fin de compte” conclut Jean-Claude Boual, “il faut s’en méfier, de ces PRAHDA. Aujourd’hui on les teste sur les migrants, mais demain, ce système risque de s’appliquer à une bonne partie du champ social.” De fait, le fond Hémisphère rempile : une nouvelle levée de fonds de la SNI vient de se terminer. Cette fois, il s’agit d’un projet de logement social pour 2018.

Contacté, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.

A lire aussi :

– L’enquête de Factuel.info, journal Franc-comtois très documenté, octobre 2017.

– Le travail d’investigation de La Cimade, notamment à Besançon.