Après plus de trois mois de grève, la dizaine d’agent.es de nettoyage du Holiday Inn de Clichy, près de Paris sont allés jeudi 11 janvier à Bruxelles. Une journée de mobilisation pour rappeler leur combat, et alerter sur les méfaits de la sous-traitance hôtelière en Europe et dans le monde.
“On ira partout réclamer nos droits”
À quelques mètres de la gare de Bruxelles-Nord, l’autocar à deux étages vient de se garer. Les passagers descendent les yeux encore embués de sommeil. Leur convoi est parti quatre heure plus tôt de Paris, à 6h du matin. Fatima est déjà prête à manifester. “On est allés à Barcelone et à Londres pour montrer à Intercontinental Hotel Group IHG [maison-mère d’Holiday Inn, ndlr] qu’on irait partout pour réclamer nos droits, à coté Bruxelles c’est tout près”.
89 jours déjà qu’ils sont en grève. Ils et elles sont une dizaine, et travaillent à l’hôtel Holiday Inn à Clichy dans les Haut-de-Seine, une enseigne du groupe IHG. Un confetti pour ce géant de l’hôtellerie, qui revendique plus de 5000 établissements dans une centaine de pays. Depuis 3 mois, les grévistes luttent pour faire reconnaître leurs droits, simplement. Ce mercredi 10 janvier, une soixantaine de militant.es et de syndicalistes sont venu.es grossir les rangs.
Leurs revendications n’ont rien de farfelu. Paiement de toutes les heures travaillées, versement d’une prime de panier, comme pour les salarié.es de l’hôtel, suppression d’une clause qui permet d’envoyer les femmes de chambres et autres employés de ménage dans n’importe quel hôtel Holiday Inn, et surtout, intégration des salariés parmi l’équipe permanente de l’établissement de Clichy. Depuis trois mois, leur employeur, l’entreprise de sous-traitance de nettoyage Héméra, refuse de négocier. M. Schiavone, le directeur, justifie ce refus en disant qu’il a les mains liées par Holiday Inn, et plus largement IHG, propriétaire de cet hôtel de 260 chambres, puisque ce sont eux qui tiennent les cordons de la bourse.
Mutation forcée
Tout a commencé le 19 octobre 2017. Blandine, une gouvernante à l’Holiday Inn de Clichy depuis onze ans, est contrainte par Héméra, son employeur sous-traitant depuis décembre 2016, d’aller travailler dans un hôtel de la chaîne à La Défense. Soit à plus d’une heure de chez elle en transports. Cette décision est légale, permise par une clause de mobilité présente dans le contrat de travail de salarié.es de l’hôtel.
Cette mutation forcée, bientôt suivie d’une seconde, l’amène avec plusieurs collègues à lancer le mouvement. Sur les 33 salarié.es recensés par la CGT, 90% cessent le travail. Et sont encore 12 aujourd’hui à se battre, malgré les intimidations et les pressions dénoncées par le syndicat CGT-HPE.
“Héméra : le pire sous-traitant”
“On a connu 5 entreprises de sous-traitance différentes en 11 ans”, explique Mirabelle, gouvernante et déléguée du personnel. “Héméra, c’est le pire, on nous impose des changements de planning quotidiens, des journées de chômage technique non payées.” Pire encore, Mirabelle raconte les relations avec la gouvernante générale, une gérante employée directement par Héméra. “Elle avait un sobriquet pour chacun d’entre nous, si tu avais du ventre, elle te surnommait “l’hippopotame”, si tu étais grande “la girafe”. Moi j’étais la râleuse parce que je rapportais les plaintes des employés”.
La victoire, il y a un mois, des ONET, les agents de nettoyage des gares SNCF d’Ile-de-France, leur a redonné de l’espoir. Eux aussi étaient victimes de la sous-traitance et ils sont parvenus à faire plier leurs employeurs. Dans les rues de Bruxelles, derrière une banderole “non à la sous-traitance hôtelière”, les salarié.es en grève et leurs soutiens défilent entre deux établissements appartenant au groupe Intercontinental. Tous ne sont pas des employés de l’Holiday Inn, mais nombreux sont ceux qui ont vécu la même chose que leurs collègues de Clichy. “Moi je travaille dans un tout petit hôtel à Paris”, explique une petite femme d’une cinquantaine d’années. “Avant, on travaillait directement pour l’hôtel et ça se passait très bien, depuis un an et l’arrivée d’un sous-traitant, on ne nous respecte plus”.
Salaires de misère et cadences plus élevées
La sous-traitance, c’est la cible des syndicalistes de la CGT- HPE et de la CNT-SO qui soutiennent les grévistes depuis le début du conflit. “C’est un problème mondial, on impose des entreprises parasites pour externaliser la gestion des travailleurs. Résultat, ils ont moins de droits. Ils se retrouvent avec des salaires de misère et des cadences toujours plus élevées », affirme Claude Levy de la CGT-HPE. “C’est pour ça que nous sommes à Bruxelles après Barcelone et Londres, il faut alerter sur l’étendue du problème”.
Intégrer les salarié.es dans les enseignes pour empêcher la sous-traitance.
Ces journées d’actions permettent aussi de maintenir la pression sur Héméra et le groupe Intercontinental. Afin d’établir un rapport de force, les grévistes parient sur la médiatisation de leur combat et la mauvaise publicité pour ces marques hôtelières. Enfin, une revendication est sans cesse rappelée : l’intégration des agents de nettoyage et des personnels de l’hôtellerie au sein des compagnies. “Il ne s’agit pas de se satisfaire de quelques meetings et manifestations. On veut la suppression de la sous-traitance qui diluent les responsabilités et permettent l’émergence d’entreprises parasites”.
Les syndicalistes souhaitent maintenant organiser une grande manifestation européenne à Paris le 1er mai prochain pour mettre en lumière les abus de la sous-traitance. D’ici là, les Holiday Inn de Clichy vont peut-être pouvoir enfin reprendre les négociations. Aujourd’hui, ils ont obtenu l’organisation d’une réunion avec leurs employeurs qui refusaient jusqu’ici toute discussion. Une rencontre chapeautée par la préfecture des Haut-de-Seine et la mairie de Clichy.
Boîte Noire :
Contactées, les directions d’Holiday Inn et d’Héméra n’ont pas souhaité faire de commentaire. Cette dernière emploie 618 salariés pour un chiffre d’affaires de 14 120 829 euros en 2016 et un résultat net de 133 833 euros.