Pour leur quarante-cinquième semaine de mobilisation, les Gilets Jaunes ont appelé à se rendre à Paris. Et se sont heurtés à un mur policier. Après avoir été bannis des Champs-Elysées, leur présence à la marche climat ne s’est pas déroulée sous un ciel plus clément. Un écueil récurrent qui engendre des réflexions stratégiques, que ce soit simplement pour pouvoir manifester, ou pour aller vers d’autres manières de se mobiliser.
C’était ce samedi. Le 21 septembre. Enfin. La rentrée des Gilets jaunes. Toute la France à Paris. L’appel circulait depuis des semaines déjà. Et ça allait péter, tout le long des Champs. Les manifestations des derniers mois étaient un peu maigres c’est vrai, mais les cortèges devaient se repeupler une fois les vacances terminées. Le gouvernement allait voir ce qu’il allait voir. Avec l’espoir de rencontrer plus réjouissant que le canon d’un LBD et le déclic caractéristique d’un lanceur cougar faisant pleuvoir les lacrymogènes.
Il y avait donc des rendez-vous un peu partout dans Paris. Le premier de la journée appelait à converger vers Madeleine dès neuf heures du matin. La police était là avant. Place bouclée, passant fouillés, tentatives de rassemblement dispersées. Quelques centaines de personnes parviennent malgré tout à lancer un cortège dans le secteur de la gare Saint-Lazare. Elles goûteront rapidement aux premiers gaz lacrymogènes du week-end.
Un peu plus au sud, nous arrivons sur les Champs-Élysées après trois contrôles (gendarmes, police, gendarmes encore) en cinq cent mètres. Des patrouilles marchent le long de l’avenue, un filtrage est en place à toutes les embouchures des rues. Sous l’Arc de Triomphe, un blindé de la gendarmerie tient compagnie au Soldat inconnu. Autour de l’Étoile, les Gilets jaunes sont faciles à reconnaître : ils et elles se font fouiller et palper plusieurs fois d’affilée contre les grilles des hôtels privés. Après son quatrième contrôle, un Gilet jaune venu du Cher rappelle que “ça fait quand même dix mois qu’on est ici, c’est énorme ! Dix mois à courir, à souffrir, à se faire gazer et matraquer alors qu’on demande juste un peu de reconnaissance.”
On aurait été bien en peine de les reconnaître grâce à leurs vestons fluorescents : la plupart d’entre elles et eux n’ont pas pris la peine de les emmener afin d’éviter de devoir payer des amendes, toute manifestation étant strictement interdite dans le secteur. Ce qui n’empêchera pas, selon certains témoignages, que des fonctionnaires zélés essayent quand même de leur en coller.
Ce discours revient souvent : après avoir revêtu le gilet réfléchissant pour se rendre visible, beaucoup l’enlèvent désormais pour pouvoir se fondre dans la foule et être moins facilement ciblé·es. Mais en ce début de matinée, les contrôles auront lieu quoi qu’il en soit. Les touristes qui à côté prennent des photos de groupe sur fond de policiers et gyrophares ont la chance de ne pas subir ce désagrément. Mais le fait est là : les Champs sont quadrillés.
Courses-poursuites dans les beaux quartiers
Une autre partie commence alors. Les Gilets jaunes se retrouvent dans les avenues voisines. Dès qu’un bon groupe est constitué, les slogans fusent, et la police aussi. A 10h30, le haut de l’avenue Friedland est aspergée de lacrymos. La brigade motorisée BRAV-M rapplique et les manifestants décampent vers le Parc Monceau. Ce schéma se répète autour des Champs toute la matinée. Dès qu’un groupe un tant soit peu important est constitué, il est immédiatement morcelé, chargé et gazé. Un début de barricade avenue Marceau est l’occasion pour la police de faire grimper le nombre d’interpellations.
Sous les coups de midi, les Gilets jaunes font le point, sandwich en main. L’accès aux Champs-Élysées est à ce moment quasi-impossible, même les journalistes encartés doivent longtemps négocier, quand ils ne s’en font pas carrément éjecter. La fatigue est présente chez ces régulier.es du samedi. Le dispositif policier rend quasi-insurmontable le fait de se retrouver dans les manifestations non-déclarées, et la situation ne s’améliore pas au fil des semaines. D’autant plus que monter à Paris, pour celles et ceux qui viennent de loin, représente à chaque fois un sacré budget.
Devant l’inaccessibilité des Champs, les Gilets jaunes se retrouvent massivement au départ de la marche pour le climat. Un changement de plan cependant loin d’être un revirement opportuniste au dernier moment. Plusieurs groupes de Gilets jaunes se disant également écolos avaient prévu de s’y joindre dans tous les cas, bien en amont du cadenassage de la célèbre avenue.
Là, ils se joignent largement à un cortège radical que la police aura tôt fait de noyer dans les lacrymogènes. Pas assez vite cependant pour sauver les vitrines des banques du boulevard Saint-Michel. Les street-médics prennent en charge hématomes et crânes en sang causés notamment par des tirs de lanceurs de balle de défense et des palets de grenades lacrymogènes. Un rouennais venu pour la première fois manifester à Paris confie : “Je voulais voir ce qu’était le comportement de la police. Je suis servi. C’est catastrophique.”
Après environ une heure d’affrontements, la rue retrouve un calme relatif. Greenpeace a jeté l’éponge, mais d’autres organisations écologistes comme Youth For Climate impulsent un nouveau départ à la manifestation. Les slogans issus du mouvement des Gilets jaunes, en particulier dirigés contre Christophe Castaner et Emmanuel Macron, se mêlent aux refrains contre le réchauffement climatique.
“Créer des brèches et des étincelles”
Dans la montée qui mène à la place d’Italie, l’incendie d’une série de poubelles provoque un nouveau déluge de grenades lacrymogènes et plusieurs arrestations. Le cortège est ensuite escorté jusqu’à son terminus du parc de Bercy, où les affrontements reprennent. Dans la soirée, les Gilets jaunes referont une incursion sur les Champs-Élysées, où la journée s’achèvera comme elle a commencé : avec manifestant.es et touristes sous les gaz et charges policières.
De quoi mettre un terme au mouvement ? Loin de là. Beaucoup expliquent que leur situation n’a pas changé, que les inégalités demeurent toujours les mêmes, et qu’ils et elles reviendront tant que ce sera le cas. D’autre part, Mitch de Saint-Nazaire, explique que de nombreuses personnes “sont toujours dans une forme de mobilisation qui n’implique plus des formes d’actions type manif ou blocage”, à une échelle plus locale, “de la solidarité concrète à la fondation d’assemblées populaires. Pour lui, ces deux niveaux d’engagement sont cruciaux pour “trouver des formes d’action qui continuent de nous rendre visibles, qui continuent de créer des brèches et des étincelles”.