En Normandie, le collectif d’aide aux migrants de Ouistreham (CAMO) existe depuis septembre 2017. Une structure devenue indispensable dans cette ville portuaire. Les personnes réfugié.e.s y attendent leur visa et espèrent franchir le bras de mer qui les sépare de l’Angleterre. Michèle et Laëtitia font partie des 160 bénévoles. Leurs témoignages reflètent l’humanisme à l’origine de la création du CAMO.
Ce samedi matin de mars 2019, dans les rues de Ouistreham, Michèle nous guide lors d’une visite pas comme les autres. Cette femme d’une soixantaine d’années, dynamique, démonstrative, déterminée à aider les personnes réfugié.e.s. En voiture avec Michèle, des arrêts sont régulièrement marqués sur les lieux de leurs errances. Là où les jeunes, parfois très jeunes, Soudanais et Tchadiens attendent, espérant embarquer à bord d’un ferry vers leur destin anglais.
À Ouistreham, l’arrivée de ces hommes, qui sont aujourd’hui environ cent-soixante, remonte à l’été 2017. Elle découle du démantèlement de la jungle de Calais. En réaction à celle-ci, certains résidents de Ouistreham et des environs ont créé le CAMO, dont Michèle est membre. Le CAMO se structure en différents pôles : CAMO Repas, CAMO Santé, CAMO Administration, CAMO Vêtements et CAMO Dodo.
Un port transformé “en ghetto”
Le trajet débute à l’entrée de la ville portuaire. Michèle indique les ruisseaux dans lesquels les réfugiés se cachent en guettant le passage des camions. Aux abords du port, en passant devant le petit square, elle précise, « ici normalement l’endroit est investi parce qu’il y a un abri, mais là il est totalement vide. Il n’y a plus un migrant, c’est la preuve de l’efficacité policière d’un harcèlement qui a fonctionné ». À Ouistreham, les dispositifs pour faire fuir les migrants se sont largement renforcés. Des brigades mobiles de gendarmerie changent toutes les semaines et surtout les contrôles aux abords du ports prennent des formes inhumaines.
Ce port, Michèle en fait une description saisissante : « Il est transformé en ghetto, il rappelle des lieux autrement plus sinistres. À l’origine, il était entouré de deux clôtures, dont l’aspect s’est modifié l’année dernière, avec des barbelées au-dessus, comme dans les camps de concentration. Maintenant, nous en sommes à quatre clôtures avec un nouveau dispositif de pics. Si des réfugiés essaient de l’enjamber, ils pourraient s’empaler dessus ».
Portrait d’un engagement sans faille
Michele raconte « le début de solidarité » manifeste chez certaines « figures ouistrehamaises ». Dont une poissonnière, bien connue des locaux, a fait partie des premières à faire un geste, afin d’améliorer le quotidien de ces jeunes hommes. Et pourtant, elle-même l’a confié à Michèle, au début elle n’était pas aidée « par son con de mari raciste ». Un mari qui, finalement, a lui aussi appris à secourir ceux qu’il nommait « ces grands noirs ». L’histoire de cette poissonnière marque les prémices de l’engagement de Michèle dans le CAMO. Michèle se dit “dévastée” par le traitement que la population et surtout le maire réservait à ces hommes. Elle décide alors d’en héberger et contribue à la création du pôle CAMO Dodo.
Le délit de solidarité n’effraie pas Michèle : « mais alors, pas le moins du monde » insiste-t-elle. Malgré une arrestation et « une gentille leçon de morale », tant que des personnes auront besoin de son aide, sa porte restera ouverte. Elle explique cet engagement : « la conviction des jeunes à s’entêter à vouloir aller en Angleterre fait écho à notre ténacité à vouloir les aider. On peut nous envoyer cinquante fois au tribunal, mais si on a envie d’héberger on hébergera, c’est clair ».
Michèle rencontre ces jeunes lors des distributions de repas organisées par le CAMO Repas. Elle propose un logement aux plus jeunes, selon elle, “les plus fragiles”. La bénévole revient sur le lent processus durant lequel la confiance s’établit pour que le jeune accepte d’être logé et puisse se sentir un peu chez lui. Elle éclaire aussi la nature du lien qui doit unir les bénévoles à ces personnes : « On est une étape dans leur existence. On n’est ni le père, ni la mère, ni la famille… C’est une position délicate, surtout pour l’affect, mais globalement c’est très enrichissant ».
“Ce sont des jeunes avec plein d’espoir”
Toujours ce samedi matin, Michèle prend la direction du quai Charcot. Au bout du chemin de Halage, la distribution d’un petit déjeuner est en cours. Une soixantaine d’hommes majoritairement Soudanais et Tchadiens échangent avec les bénévoles. le collectif tient une permanence de tous ses pôles. Un ancien camion de pompier accueille les consultations médicales, un coffre de voiture abrite des kits d’hygiène, sur des étals des vêtements s’amoncellent… Sur plusieurs grandes tables, se trouvent des boissons et nourritures.
Depuis novembre 2017, Laëtitia, la trentaine, s’occupe de la distribution des habits collectés. Avec l’humilité des gens qui agissent, elle analyse son travail quotidien : « Les gens ont tendance à penser que parce que les migrants ont des besoins on leur donne tout et n’importe quoi. Mais ce sont des adolescents et ils ont la même mode que les nôtres. Ce sont des jeunes avec plein d’espoir. L’apparence et les vêtements font partie aussi d’une toute petite part de leur moins mal-être ». Le but est bien là : satisfaire les besoins les plus urgents, sans déroger au droit à l’intégrité et à la dignité de ces hommes.
Au bord du canal de l’Orne où les canards cancanent, le rendez-vous peut prendre un air bucolique. Ici, on s’appelle par son nom, on discute, on rigole. Rares sont les confidences sur les atrocités vécues, mais ce jour-là Abdallah, jeune adolescent de 15 ans accepte de partager son quotidien. « Au Darfour, on a été chassé, en Lybie on a été torturé, on vient ici on nous maltraite… ». Abdallah décrit l’action des gendarmes, « on nous gaze, on nous matraque, on nous emmène en voiture et on nous dépose à 5 kilomètres d’ici ».
Un seul rêve : l’Angleterre
Pire, il semblerait qu’au cours de plusieurs arrestations, le traducteur présent ait menti sur l’âge des interpellés. Michèle assure qu’Abdallah n’est pas le seul à faire le récit de cette ignominie. Abdallah précise les faits: « un ami parlant français a assisté à des scènes de ce genre ». Alors le jeune adolescent s’interroge et tranche : « Où est-ce qu’on peut aller, qu’est-ce qu’on peut faire en France ? On veut aller en Angleterre ».
Le séjour dans l’Hexagone de ses personnes réfugié.e.s se déchire entre violences infligées par les appareils d’État et la solidarité de ceux qui s’organisent pour les soutenir. Michèle et Véronique font parties de ces hommes et de ces femmes qui s’activent au quotidien pour montrer qu’un autre accueil en France est possible. Reste que ce serait à l’Etat et aux collectivités de prendre leurs responsabilités.