Le documentaire “Regarde ailleurs” revient sur l’histoire de la “jungle” de Calais, avant, pendant et après son démantèlement. Arthur Levivier trimballe une petite télévision cathodique à l’ancienne, sur laquelle il incruste des extraits édifiants de journaux télévisés. Une petit histoire du décalage entre discours médiatique et réalité observée sur le terrain.
Pendant des mois, Arthur Levivier a arpenté la “jungle de Calais”. Il en tire un film d’1 h 30 aux images parfois brinquebalantes, tournées comme on peut au milieu des incendies, des contrôles de police et du froid de la Manche. Un film qui fait de la place aux paroles des personnes migrantes, entassées à Calais dans un camp voulu par la mairie, puis détruit en 2016. “Je mets le terme de démantèlement entre guillemets, parce que c’était une expulsion”, explique le jeune documentariste. “L’idée de départ de ce film, c’était de questionner l’immense décalage entre ce que je voyais, et ce qui en était retransmis dans les médias.” Plusieurs séquences le montrent en train d’interpeller des journalistes de télévision, notamment le correspondant local de BFMTV, Lionel Top.
Lacrymogène en guise de réveil matin
Si les témoignages des personnes migrantes parlent d’ailleurs, de rêves d’Angleterre, des tabassages réguliers par la police, des gaz lacrymogènes au petit matin, ils racontent surtout une incompréhension radicale des autorités politiques et médiatiques qui parlent d’eux. Pour le CRS perché sur la butte qui surplombe le camp de Calais réduit en cendres, “il paraît que c’est une coutume” de brûler les tentes. “En réalité, pendant la nuit, j’étais avec les militants No Border, et toutes les rumeurs circulaient. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y avait qu’un seul camion de pompiers pour tout le camp, et qu’on étaient seuls à essayer d’éteindre les incendies”, raconte Arthur Levivier.
“Regarde ailleurs” a le mérite de mettre le doigt sur l’ambivalence des journalistes, dont certain・es, comme cette correspondante de la chaine américaine CNN, déplorent un traitement de l’actualité “en vue des présidentielles françaises, et qui ne raconte pas ce que sont ces hommes et femmes, des gens dans la détresse”. La plupart sont dépeints en train de filmer les images absurdes que la préfecture leur donne à voir. “Le premier jour de l’expulsion, ils ont mis des types qui ne savaient pas tenir un marteau en tenues de sécu oranges flambant neuves. Ils voulaient donner l’image d’un démantèlement planche par planche, respectueux des migrants.” Dès que les caméras ont eu le dos tourné, les incendies, puis les bulldozers ont fait le reste. Loin de la représentation que l’on devrait se faire d’une opération humanitaire.
Une distance bienvenue
Seul regret peut-être, de ce film sincère et percutant, celui de ne pas aller creuser davantage du côté de la vie sur le camp. Les personnages sont touchants, mais on les regarde de loin, sans entrer dans leurs histoires. Tout au plus devine-t-on une existence boueuse, froide et dure, filmée avec respect par Arthur Levivier, qui témoigne là d’une distance bienvenue, parce que non-intrusive. Un film à voir à Paris au cinéma Saint-André des Arts à Paris, jusqu’en mars au moins. La sortie nationale est prévue pour ce mercredi 20 février, vous pouvez suivre l’actualité du film sur sa page facebook.