Mineur·es isolé·es de la Gaîté Lyrique : le récit d’une expulsion brutale

Dans la nuit du 17 au 18 mars à Paris, après plus de trois mois d’occupation, les forces de l’ordre ont expulsé la Gaîté Lyrique dans la violence, remettant à la rue les 450 mineur·es isolé·es. Récit. (TW : violences policières)

 

Sur le parvis de la Gaîté Lyrique occupée depuis le 10 décembre 2024, militant·es, soutiens et jeunes sont rassemblé·es en nombre, remplissant l’entièreté de la rue Papin. Debout sur la rambarde, Blaye, un délégué du Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, surplombe la foule : « La mairie n’a cessé de dire qu’il n’y aura jamais une expulsion sèche de la Gaîté Lyrique » rappelle-t-il au mégaphone. Pourtant, lundi 17 mars la nouvelle tombe à 11h, quatre feuilles de papier collées au scotch à l’entrée du théâtre. Un arrêté de la préfecture de police ordonne l’expulsion des lieux sous 24h. Le collectif lance un appel au rassemblement dès 18h pour protester contre cet arrêté et soutenir les mineur·es isolé·es.

 

Dix heures de rassemblement

Toute la nuit, les militant·es sont resté·es éveillé·es, tenant le rassemblement comme une fête concluant trois mois de lutte à tenir cette occupation auto-organisée dans ce lieu inadapté et ce malgré la précarité, les menaces et intimidations constantes de groupes fascistes, et les provocations des médias d’extrême-droite. Les slogans retentissent en musique toute la nuit. Des drones de police volent au-dessus du rassemblement. Si ce sont les derniers instants que passe le collectif à la Gaîté Lyrique, la détermination des jeunes qui animent le rassemblement atteste que leur lutte ne s’arrêtera pas cette nuit.

 

 

« On reste à Paris ! »

Vers cinq heures du matin, malgré le manque de sommeil, à l’arrivée des forces de l’ordre, tous·tes se tenaient déjà prêt·es à quitter les lieux, toujours en attente d’une proposition d’hébergement de la préfecture ou de la mairie. Le communiqué du Collectif des Jeunes du Parc de Belleville témoigne d’un dispositif « quasi-militaire », avec la venue d’une centaine de CRS, de drones et de policiers municipaux et nationaux. Au mégaphone, l’appel est lancé par l’un des délégués à l’adresse des soutiens : « Il n’y aura pas de violence de notre camp ». Un cordon de soutiens se met en place pour entourer les jeunes afin de faire tampon avec la police. « On va gagner ! » clament les soutiens devant eux. Les deux côtés de la rue Papin sont rapidement encerclés par les forces de l’ordre. Alors que le délai d’expulsion des 24 h n’est pas encore passé, à 5 h 40, leur procédure est déjà enclenchée. Les CRS pénètrent dans l’enceinte du bâtiment, accompagnant leur intervention des premiers coups de matraques de la nuit, dont certains à la tête et des prises au cou, selon de nombreux témoignages. Le maintien de l’ordre est confus, plongeant les manifestant·es dans la panique et nassant le parvis. Pourtant, aucune résistance n’est faite et l’ensemble des occupant·es sont déjà sortis du bâtiment.

 

Rassemblement durant la nuit du 17 au 18 mars avant l'expulsion. Photographie par Sylvain Cricq-Sarrailh

S’en suit un long moment d’attente sur le parvis de la Gaîté Lyrique. Le soleil baigne la foule malgré le froid matinal. Un drone est toujours accroché dans le bleu du ciel. Le sol est couvert des affaires des occupant·es. Les slogans se poursuivent malgré tout. Les interlocuteur·ices de la PRIF (Préfecture de Région Île-de-France) ont enfin proposé leur solution aux jeunes : partir trois semaines dans un sas d’accueil à Rouen.

 

Se déplaçant auprès des expulsé·es, les médiateur·ices entament des discussions pour mettre en avant leur proposition de solution d’hébergement. Les réponses se font écho de tous les côtés du parvis : « On reste à Paris ! ». Les jeunes du collectif manifestent leur refus catégorique d’accepter cette proposition. Un délégué s’adresse à un médiateur de la PRIF : « Vos propositions dans les provinces, deux semaines, trois semaines… après nous remettre à la rue, on en veut plus. On veut être là, on a nos recours à Paris, on reste là. On ne va pas bouger d’ici. On veut être là avec tous ces militant·es à côté de nous, qui nous soutiennent toujours, dans toutes nos galères. Vous voulez nous aider ? C’est à Paris qu’on va rester, suivre nos recours, si on veut voir nos avocat·es, s’il faut faire nos démarches : c’est ici ». 

 

Un·e mineur·e en recours, est un jeune qui s’est fait refuser sa minorité auprès du département lors de son arrivée en France. Comme la loi le permet, iels peuvent contester le refus par un recours, auprès du juge des enfants au Tribunal. Tous·tes les jeunes de la Gaîté Lyrique sont en recours de minorité, au tribunal de Paris, de Créteil ou de Bobigny. Il est interdit de déposer des recours dans plusieurs tribunaux, iels ne pourraient donc pas en déposer un à Rouen. Leurs démarches administratives, les rendez-vous avec leurs avocat·es et les associations sont regroupés à Paris.

 

 

À l’été 2023, les mêmes propositions avaient été faites aux mineur·es isolé·es qui campaient dans le parc de Belleville. « Vos propositions dans les provinces, c’est bidon, on l’a déjà vécu et on l’a vu ». À l’issue de ces discussions, parmi les 450 occupant·es, d’après un communiqué de la préfecture, seul·es six mineur·es en recours sont monté·es dans les bus, direction Rouen.

Sur le même thème : Occupation de la Gaîté Lyrique : la lutte des mineur·es isolé·es s’organise au sein du bâtiment !

 

La guerre aux mineur·es isolé·es

Aux alentours de neuf heures, de nouvelles interventions ont lieu. Les charges des CRS sont confuses, gazant à tour de bras les militant·es étouffé·es par l’effet de la nasse, bloqué·es entre deux cordons de policiers. Coupant la foule en deux, sur le côté Boulevard Sébastopol, plusieurs personnes, dont des jeunes, sont au sol, paniquées par les gaz lacrymogènes et les mouvements de foule. Certain·es perdent conscience, d’autres sont blessé·es par les coups de matraque et tombent au sol dans les bousculades précipitées par les forces de l’ordre. Plusieurs jeunes et soutiens sont pris en charge par les pompiers et emmené·es à l’hôpital. Un communiqué du Collectif des Jeunes du Parc de Belleville recense une trentaine de blessé·es. De l’autre côté, sur la rue Réaumur commencent les premières arrestations.

 

Dans les heures qui suivent la violence se poursuit dans les rues de Paris, alors que le parvis de la Gaîté Lyrique est déjà évacué. Les affaires des occupant·es sont bloquées par un cordon de CRS, les empêchant de récupérer leurs sacs contenant des documents administratifs précieux, des vêtements et des couvertures. Dans les rues alentour, les jeunes sont poursuivi·es jusque dans les bouches de métro, séparé·es des soutiens, dans une traque effrénée. Les soutiens, suivis par une cinquantaine de jeunes encore sous le choc et pour certain·es blessé·es, se regroupent sur la place de la République pour faire le point. Sept camionnettes de la Police Nationale déboulent du boulevard Magenta et deux escouades se forment pour évacuer la place. La traque se poursuit à Pont-Marie, Château-Rouge et au Parc de Belleville. Des zones ciblées pour y arrêter des jeunes, selon des témoignages de différents soutiens du collectif. Un photojournaliste, membre du collectif Encrage a été blessé par les coups des forces de l’ordre et a été emmené à l’hôpital.

 

Un bilan d’une cinquantaine d’arrestations conclut cette journée infernale, dont 25 Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF), pourtant illégales sur des mineur·es, et données arbitrairement par les gendarmes, modifiant les dates de naissances et les nationalités des jeunes arrêté·es, selon le communiqué du Collectif publié le 20 mars. Un majeur réfugié à la Gaîté Lyrique est également placé en Centre de rétention administratif (CRA). Le communiqué du Collectif dénonce la violence de cette expulsion et le caractère raciste des traques qui se sont poursuivies dans la journée. À tout cela, s’ajoute la violence du retour à l’errance et aux dangers de la rue pour les 450 mineur·es en recours de la Gaîté Lyrique expulsée et le traumatisme d’une journée de traque et de fuite.

 

Sur France Inter, le mardi matin, la maire (PS) de Paris, Anne Hidalgo, a affirmé que cette évacuation « est ce qu’il fallait faire » du fait d’une « situation très compliquée, tendue et dangereuse » pour les personnes à l’intérieur. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a quant à lui retenu la « fin (d’) une situation inacceptable, y compris d’un point de vue humanitaire », assurant que « l’État a pris ses responsabilités en rétablissement l’ordre public, malgré la réticence de la mairie (…) à demander cette expulsion ».

 

Solidarité après l’expulsion

Dans les jours qui ont suivi, des messages de soutien et de solidarité envers les mineur·es isolé·es de la Gaîté Lyrique ont retenti en France. Notamment le 22 mars, journée nationale contre le racisme et le fascisme à l’appel de la Marche des Solidarités, où l’on a pu voir de nombreuses pancartes évoquant la brutale expulsion. Le mercredi 19 mars, des lycéen·es du lycée Diderot à Paris se sont mobilisé·es en soutien aux mineur.es isolé.es de la Gaîté, dont un occupant est scolarisé dans cet établissement. Plus de 400 personnalités du monde de la culture ont dénoncé la violente expulsion de la Gaîté lyrique dans une tribune publiée le 21 mars sur Politis : « Jamais l’art ne pourra servir d’alibi à des matraquages et à des expulsions de mineurs »

 

Reportage vidéo du média GISTI TV :

 

Le Collectif des Jeunes du Parc de Belleville au Conseil d’État

Le vendredi 28 mars à 10 h 30, une audience publique au Conseil d’État aura lieu après un appel contre l’arrêté d’expulsion déposé par les avocats de Collectif. Iels demandent le respect du droit. Et plus spécifiquement, une évaluation individuelle de chaque situation, une orientation vers un hébergement adapté, stable et digne, avec un accompagnement social.

 

Des manifestations pour un logement digne pour toustes sont prévues le week-end du 29 et 30 mars en France. À Paris, elle aura lieu samedi 29 mars, à partir de 14 h sur la place de la République.

 

Bertille Hyvon et Clémence Le Maître

Photographies : Sylvain Crick-Sarrailh

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