Pétrole, armement, nucléaire, c’est par le théâtre documentaire que Nicolas Lambert nous plonge au coeur des grandes affaires politico-financières des années 90. Un retour dans le passé qui éclaire avec brio les enjeux politiques actuels dans notre république.
“Ce que je propose, c’est de regarder les racines”, confie le comédien. Rejouant des affaires et des procès qui datent de plus de 10 ans, Nicolas Lambert invite à fouiller les sentiers de la Vème République, “qui sont problématiques” décrit-il, qui “nous regardent”. En 2016, Radio Parleur avait déjà eu la chance de discuter avec ce comédien hors-norme. Le voici à nouveau à notre micro alors que l’actualité fait, plus que jamais, écho à son travail.
En trois pièces de deux heures visibles séparément, le comédien revient sur les affaires de financements occultes autour d’ELF, entreprise pétrolière depuis rachetée par Total, puis sur les rouages du nucléaire français et enfin l’armement avec l’affaire Karachi. À ses côtés, on lève le voile sur les liens sombres avec l’Etat français et cet énorme business financier et politique.
Cette trilogie de spectacles nommée “l’A-Démocratie” démarre par “ELF, la pompe Afrique”. Nicolas Lambert revient aux origines du pétrole, avec cette compagnie créée “pour et par le général De Gaulle”. Ici comme dans toutes les pièces de cette trilogie, Nicolas Lambert joue chaque personnage. Il incarne tour à tour Charles Pasqua, Edouard Balladur ou encore François Léotard, l’ensemble des figures politiques de l’époque concernées par ces affaires. Tour de force, toutes les phrases entendues dans ces spectacles ont été véritablement prononcées. Pour préparer cette oeuvre hors-normes, Nicolas Lambert a assisté à des centaines d’heures d’audiences, compilé des dizaines de déclarations publiques de ces politiques qu’il incarne avec brio.
Raconter l’histoire pour comprendre le présent
Au cours de ces trois volets, on déterre des sujets souvent méconnus du public, et pourtant directement liés à nos vies quotidiennes. “Il s’agit moins de dénoncer que d’énoncer tout court. Ce sont des domaines où on n’a pas prise. (…) c’est notre boulot de raconteurs d’histoires”.
Nicolas Lambert pointe du doigt les “pouvoirs régaliens” confiés au Président “les députés, les sénateurs, apprennent comme nous le matin les opérations extérieures” lancées par l’exécutif. À ses yeux, il s’agit de “guerres autour de puits de pétrole. Des transports de matériaux permettent de faire du nucléaires. Et il semble bien qu’on ait des clients dans ces zones-là très importants de notre industrie d’armement ; si c’est en notre nom, comme c’est prétendu, je propose qu’on regarde ça, qu’on nomme ça et qu’on s’en empare”.
Vente d’avion de combat Rafales, liens avec l’Arabie Saoudite, Nicolas Lambert montre les connexions entre tous ces sujets. “C’est de la vente de nos armes à ces pays, qui vont servir à faire des choses au Yémen” dépeint l’artiste ” on considère que ça ne nous regarde pas, on vend pour de l’argent, pour recréer des armes. Mais pourquoi ?”
“Tiens si je faisais des enquêtes, et qu’après je les joue ?”
On observe une réelle volonté pédagogique chez Nicolas Lambert, l’idée est de dire “où est-ce que je ne peux pas mettre de micro ?”. L’artiste a assisté aux quatre mois du procès ELF, s’est énormément documenté et a réalisé des entretiens dont celui de Pierre Guillaumat, qui a créé ELF, dirigé le commissariat à l’énergie atomique, participé à élaborer la bombe atomique française et fût ministre de la défense pendant la guerre d’Algérie.
15 ans de travail, pour donner à voir l’envers du décor aux spectateur·trice·s. “Le théâtre c’est aussi un lieu où l’on peut se poser (…) et ça permet d’éteindre le téléphone”. Par le théâtre documentaire, le comédien rejoue l’histoire, et cela peut frapper encore plus “Ce qui est intéressant, c’est d’entendre ça de la bouche même de ceux qui construisent ces choses-là“.
Le présent n’a pas appris de l’histoire
Ce qui peut frapper aussi dans cette pièce, c’est “d’entendre que le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy suit la même route que la campagne finalement ratée d’Edouard Balladur (jouée dans son spectacle, ndlr), on retrouve les mêmes façons de procéder dans les années qui sont les nôtres qu’il y a 20 ans, 30 ans etc…”.
Tout ce que raconte Nicolas Lambert dans ses spectacles fait écho à notre époque. En creux, il aborde une des causes du mouvement des Gilets Jaunes : la dépendance au pétrole dans notre société, signal fort du régime actuel de la Vème République. “Ces histoires-là nous donnent des billes pour comprendre deux, trois choses pour notre demain”.
Un entretien réalisé par Vic
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