Suite aux révoltes dénonçant le meurtre de Nahel, le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, fait publier le 30 juin dernier une circulaire dans laquelle il exige « une réponse pénale rapide, ferme et systématique ». Afin de saisir la mesure de cette consigne, nous sommes allé·es au tribunal judiciaire de Créteil à la rencontre de Coline Bouillon, avocate au barreau du Val-de-Marne.
Les jours qui suivent le déclenchement des révoltes, les condamnations tombent à la pelle et donnent à voir ce que la justice française a de plus pénitentiaire. Passages en comparutions immédiates, demandes de peines fermes et mandats de dépôt : un chemin sans détour vers l’enfermement. Coline Bouillon alerte sur cet usage de la détention qui, bien que censé être situé en bout de chaîne des peines, constitue à présent un verdict de référence, de plus en plus automatisé.
Manifestement, il y a bien là une application des consignes du garde des Sceaux. Cet impact révèle l’inquiétante porosité entre l’institution judiciaire et les positions gouvernementales. Difficile dans ces conditions de nier la dimension politique de ces jugements.
« C’est clairement une bataille politique, ces révoltes sont politiques, elles viennent en réponse à un acte politique et elles sont l’objet d’une répression par le biais d’infractions politiques » – Coline Bouillon
Coline Bouillon rappelle néanmoins que, loin d’être une nouveauté, cette situation est en réalité une version densifiée du quotidien judiciaire en France. La justice n’aura pas attendu, ni les consignes de Dupond-Moretti, ni les révoltes des quartiers populaires, pour se rendre répressive. Pour réellement dénoncer ces injustices il faut ainsi insister sur le fait qu’elles ne sont pas contextuelles mais bien structurelles.
« Dans la tête d’un juge on ne juge pas pareil une personne quand on se dit ça pourrait être mon fils » – Coline Bouillon
Les décisions juridiques s’inscrivent dans la triste continuité des maltraitances sociales du quotidien. A cet égard, la disproportion des peines relativement aux chefs d’inculpations est telle que les avocats indiquent y perdent leur repères de défense.
A écouter : Chroniquer la violence judiciaire : entretien avec La Sellette
Face à cela, Coline Bouillon conclue et insiste : il ne faut pas laisser la justice opérer cette violence sans témoin. Il faut se rendre sur son terrain et documenter ses exactions. Ainsi, si l’adage Filmez la police! est plus que jamais valable, Regardez la justice ! le complète à présent fatalement.
Un entretien mené par Kaïna Benbetka – illustrations de Ana Pich.