Depuis le début de la guerre en Ukraine, la France se mobilise pour accueillir des réfugié·es sur notre territoire. Cette politique humaniste pose la question du traitement réservé aux autres personnes exilé·es dans notre pays. Cette semaine dans l’Actu des Luttes, on vous fait découvrir un un combat qui illustre ce sujet. Depuis quatre mois, une centaine de travailleurs intérimaires sans-papiers font grève devant les entrepôts franciliens de Chronopost et DPD, deux filiales du groupe La Poste. L’enjeu de leur combat : leur régularisation.

La manifestation dévale les rues du 4ème arrondissement de Paris en ce jeudi 24 février et la marche perturbe le calme des rues. Ils sont plus d’une centaine d’hommes à battre le pavé. La plupart ont traversé la Méditerranée depuis les pays d’Afrique subsaharienne comme le Mali ou la Guinée. Soudain, les manifestants lancent ensemble un slogan. « Hier colonisation, aujourd’hui exploitation, demain régularisation, on s’en fout, on est chez nous ! ». La marche se dirige avec détermination vers le siège de la banque postale, en plein cœur de la capitale.

Derrière les filiales employeuses de sans-papiers, le groupe La Poste

D’habitude, les 83 grévistes sans-papiers de la filiale du groupe La Poste DPD travaillent en Essonne. Plusieurs fois par semaine, ils passent plus d’une heure dans les transports pour rejoindre l’entrepôt logistique de Coudray-Monceaux (91) ou celui d’Alfortville (94). Depuis le mois de novembre 2021, les travailleurs de DPD font grève. Plus tard, en décembre, les intérimaires de Chronopost les ont rejoints. La cause principale de leur mobilisation : aucune société n’accepte de leur donner les documents essentiels à leur régularisation.

Ainsi, des sociétés d’intérim qui les emploient (comme Derichebourg) aux filiales qui les accueillent pour trier les colis, toutes se renvoient la balle. Toutes refusent de reconnaître ces personnes sans-papiers comme leurs salariés. Il faut dire que selon un article du journal le Parisien, la plupart des intérimaires sans-papiers sont employés sous de faux noms. Mis au courant de la situation, le groupe La Poste affirme dans un communiqué «qu’aucun lien entre (les grévistes) et DPD France ne peut être avéré à ce stade. DPD France condamne le recours au travail illégal. Les sociétés partenaires avec lesquelles elle travaille régulièrement lui garantissent le respect de l’ensemble de leurs obligations vis-à-vis de la législation »

Sans-papiers La Poste
Les intérimaires sans-papiers réclament à leurs employeurs les documents attestant de leurs heures de travail pour enrichir leur demande de carte de séjour. Photographie : Clémentine Eveno pour Radio Parleur

Le droit à une vie décente

« On a traversé la mer en zodiac sans marche arrière, on n’a pas eu peur. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on va avoir peur.» Au-delà de la bravade, Abubakar Dembele, l’un des grévistes, exprime pourtant une réalité. Selon nos informations, une centaine de travailleurs sans-papiers œuvrent tous les jours dans les entrepôts logistiques de DPD et Chronopost. Ils n’ont pas de sécurité sociale. Ils n’ont pas non plus, officiellement, le droit d’être sur le territoire français.


Sur le même sujet : Ecoutez ce précédent reportage de l’Actu des Luttes, “Pour Chronopost, les sans-papiers jetables”.


Pour Françoise Vergès, chercheuse et militante décoloniale, le lien est essentiel entre le passé de leurs ancêtres soumis à la colonisation, le passé proche de la traversée dans la Méditerranée, et la sur-exploitation des travailleurs sans-papiers. Lorsque nous l’interrogeons sur le cas de ces grévistes sans-papiers liés au groupe La Poste, elle affirme : « la sous-traitance, c’est la sur-exploitation ».

Cette situation, la sociologue Emeline Zougbédé, autrice d’une thèse sur le sujet, la déplore également. Forte de ce long travail sur le sujet, elle dénonce ainsi la rigidité de l’administration française et affirme que les conditions de travail de ces personnes sans-papiers posent la question du droit à une vie décente. Un droit pourtant inscrit noir sur blanc dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La même qui est actuellement invoquée lorsqu’il s’agit d’accueillir les victimes de la guerre en Ukraine.

Un épisode de l’Actu des Luttes coordonné et présenté par Martin Bodrero. Reportage réalisé par Clémentine Eveno. Photographie de Une : Clémentine Eveno pour Radio Parleur. Identité sonore Actu des Luttes : Etienne Gratianette (musique/création) et Elin Casse, Antoine Atthalin, Romane Salahun (voix).