Et si les paysan·nes devenaient des fonctionnaires de l’alimentaire ? C’est entre autres ce que propose Laura Petersell, membre du Réseau Salariat, dans Régime Général, co-écrit avec Kévin Certenais. Elle esquisse un nouveau rapport à la production alimentaire. Avec cet ensemble de propositions pour créer une sécurité sociale de l’alimentation, l’objectif est de sortir le contenu de nos assiettes des logiques capitalistes.


Régime Général, pour une sécurité sociale de l’alimentation, sorti en janvier 2022 aux éditions Riot, dresse un constat accablant sur le fonctionnement de la filière alimentaire. Principalement employeuse de femmes précaires à l’échelle mondiale, accaparée par de grandes entreprises capitalistes et fortement dépendante des banques, elle est pourtant essentielle à notre survie. La déconnecter de toute logique de profit et la rendre aux personnes concernées est, pour Laura Petersell, membre du Réseau Salariat, le seul horizon viable pour assurer sa pérennité.

La sécurité sociale, une acquis historique inspirant

L’idée exposée par Laura Petersell dans Régime Général s’inspire du modèle de la sécurité sociale mise en place dès 1946. Elle tente de le transposer à la filière agroalimentaire. Dans son projet, les entreprises cotisent pour alimenter des caisses de sécurité sociale gérées à l’échelle locale. Ces caisses sont administrées par des habitant·es et des agriculteur·ices, tiré·es au sort, pour attribuer des subventions de production. Celles-ci doivent assurer un salaire à vie pour les travailleur·euses de la filière et des prestations sociales. D’ailleurs, l’idée de “salaire à vie” reprend les théories de l’économiste Bernard Friot. Celles-ci se fondent sur l’idée d’une rémunération qui ne dépend pas de la “valeur” du poste au sein d’une société capitaliste, mais d’une reconnaissance de la qualification personnelle.


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À l’échelle locale, des initiatives existent déjà : “Des individus qui se mettent ensemble et qui cotisent pour assurer un salaire à des paysan·nes […], c’est la philosophie d’origine des AMAP. C’est la reconnaissance d’un travail difficile : on sent qu’il y a des prémices de socialisation, de logique collective communiste“, se réjouit Laura. Ces initiatives sont porteuses d’espoir. Mais l’autrice invite à réfléchir à une échelle plus globale, pour remettre en cause tout notre système de production. “Ces AMAP concernent une certaine classe sociale, un certain milieu culturel. Or il faut que cela touche l’ensemble de la société.

Fonctionnement d’une “sécurité sociale de l’alimentation” / Crédit : Adrien Bonnemaison

Se réapproprier la notion de “travail”

Au départ, j’ai rejoint le Réseau Salariat avec le fantasme qu’avec un salaire à vie, je pourrais faire ce que je voudrais de mes journées, donc autrement dit : ne pas travailler” se souvient Laura Petersell. “Mais avec mon parcours militant et notamment mon parcours féministe, j’ai mesuré à quel point c’était une erreur de ne pas revendiquer le travail.” Finalement, le travail est partout, surtout quand on le place dans une perspective féministe et décoloniale. “Le travail domestique, le travail de la conversation, le travail affectif ...” énumère Laura. Les tâches exécutées par les dominé·es sont partout, mais toujours invisibilisées. Alors même qu’elles permettent à notre société de fonctionner.

Dans Régime Général, Laura Petersell combat : “l’illusion du choix”

Si nos étals de supermarchés débordent de dizaines de marques différentes pour un même produit, l’acte d’achat n’est pas pour autant un choix conscient et délibéré. : “Il y a un mépris de classe dingue avec cet argument. C’est vrai pour personne, mais d’autant plus quand on a pas de thunes”. Pour Laura Petersell, “un des leviers du système capitaliste, c’est de nous broyer et de nous voler notre temps.” Se tourner vers des aliments ultra-transformés, gras et sucrés ou décider d’acheter des produits “bios” n’a donc rien de volontaire. Ce choix relève en réalité de logiques de classe très ancrées. Militer pour une meilleure alimentation ne peut donc pas se résumer à des mesurettes pour “apprendre à mieux consommer”. C’est tout un système, basé sur le profit, qu’il faut déconstruire.

Un entretien de Léo Lefrançois pour Radio Parleur. Identité sonore : Etienne Gratianette (musique/création). Photo de Une : David Even.