En Loire-Atlantique, les tensions sont vives entre  paysan‧nes bio et agriculteurs‧trices conventionnel‧les. Deux conceptions de l’agriculture s’affrontent, mais aussi deux manières de vivre la ruralité. Dans ce nouvel épisode de l’Actu des Luttes, on vous emmène à la rencontre de Yoann et Hubert Maurice, deux paysans près de Saint-Nazaire. Tous deux dénoncent des intimidations, des pressions et voire des menaces de mort. 

MISE À JOUR 2/03/2022 : À l’occasion du salon de l’Agriculture 2022 qui se termine ce dimanche 6 mars, on vous propose à nouveau ce reportage à l’écoute dans l’Actu des Luttes. Il y a quelques jours, guerre en Ukraine oblige, le président de la république Emmanuel Macron est passé en coup de vent couper le ruban d’inauguration du salon sous le regard de Neige la vache égérie du salon. Il en a profité pour saluer le monde agricole et a fait de « la souveraineté alimentaire » , l’ambition des prochaines années.

Un horizon qui va être difficile à atteindre si la profession n’enraye pas la crise de vocation qu’elle connait. Depuis 10 ans on compte 100 000 agriculteurs et agricultrice en moins en France et le président du salon de l’agriculture Jean Luc Poulain appelle à « un débat sur la vision du métier ».

C’est ce souhait d’un « débat » qui nous amène à vous proposer ce reportage diffusé pour la première fois le 7 juillet 2021. Vous allez l’entendre la situation questionne fortement les limites à poser aux oppositions sur la vision du métier et sur l’avenir de notre agriculture paysanne.


 

C’est au bout d’un petit chemin de campagne que nous rencontrons Yoann. Maraîcher, fils et petit-fils de paysan, il possède une ferme à Chauvé, commune rurale du Pays de Retz dans l’ouest de la Loire-Atlantique. Dans la région, deux visions de la ruralité s’affrontent. Entre paysan‧nes bio et agriculteurs‧trices en culture intensives utilisatrices de pesticides, il y a souvent de la friture sur la ligne. Plus largement, c’est tout le monde rural qui est concerné, des élus locaux aux chambres d’agriculture en passant par les syndicats paysans, ou encore les organisations écologistes.

À Chauvé, le 25 mai, des Woofers travaillent sur l'exploitation paysanne de Hubert et Yohann. Photographie : Collectif Prism pour Radio Parleur.
À Chauvé, le 25 mai, des Woofers travaillent sur l’exploitation paysanne de Hubert et Yohann. Crédit : Collectif Prism pour Radio Parleur.

Depuis quelques mois, Yoann et son collectif Terres Communes sont sous pression. Régulièrement, de jour comme de nuit, des personnes viennent sur leurs fermes ou aux abords de leurs terres. Parfois, on y pénètre même. La plupart du temps, les intrusions s’arrêtent là. Mais parfois, la menace devient physique. En avril dernier, Hubert Maurice, le père de Yoann, lui aussi militant écologiste, est agressé par un agriculteur dans son propre champ. La famille Maurice est connue à Chauvé et dans ses environs comme une référence du monde militant. Hubert lutte depuis longtemps contre les OGM et le projet, aujourd’hui abandonné, de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Yoann a lui aussi participé à l’emblématique ZAD qui s’y est installée.


Sur le même thème : retrouvez notre émission Penser Les Luttes dédiée à la nouvelle politique agricole commune avec nos partenaires Politis et Basta !


La fatigue et les craintes de Yoann sont exacerbées après l’évacuation de la Zone À Défendre du surf-park de Saint-Père-en-Retz en 2020. Ce projet de centre nautique à quelques kilomètres de l’océan, hors normes et hors-sol, est abandonné en juin 2021. Plusieurs collectifs s’opposent au projet, dont Terres Commune. Yoann en fait partie, jusqu’à l’expulsion violente du terrain par un groupe mêlant riverains et élus locaux, sous le regard de plusieurs dizaines de gendarmes.

À Chauvé, le 25 mai, Yohann le fils de Hubert, également paysan du Pays de Retz, lors d'une interview sur son exploitation.
À Chauvé, le 25 mai, Yohann, le fils d’Hubert, également paysan du Pays de Retz. Crédit : Collectif Prism pour Radio Parleur

Deux conceptions de l’agriculture et de la ruralité

Quels rapports entretiennent des paysans bio avec celles et ceux qui pratiquent l’agriculture conventionnelle ? Au quotidien, il s’agit en fait d’un véritable rapport de force qui les dépasse, tellement le poids des institutions, industries et  syndicats pèsent sur le monde rural. D’après Yoann et Hubert, ainsi qu’une autre cultivatrice maraîchère qui souhaite rester anonyme, les agriculteur‧ices conventionnel‧les ne reconnaissent pas l’opportunité de l’agriculture biologique. Elle affirme également que les pouvoirs publics incitent peu les paysans à la conversion. Selon eux, les agriculteur‧ices sont considérés dans l’agro-industrie comme des maillons interchangeables alors qu’ils sont théoriquement indépendant‧es.

À chauvé, le 25 mai, Hubert paysan du Pays de Retz, lors d'une interview sur son exploitation.
À Chauvé, le 25 mai, Hubert paysan du Pays de Retz, lors d’une interview sur son exploitation. Crédit : Collectif Prism pour Radio Parleur

Cette cultivatrice pense être une gêne pour les défenseurs de l’agriculture conventionnelle. Bien qu’elle n’ait jamais subi de pression ou d’intimidations, elle indique que beaucoup de jeunes paysan‧nes bio s’installant dans le Pays de Retz voient leur matériel cassé ou leurs portes fracturées.

Paysan‧nes et militant‧es : lutter contre les institutions

Yoann Maurice se définit lui-même comme militant et zadiste. Son père, se présente lui comme activiste. Selon ce-dernier, lorsque le politique échoue, que les intérêts privés l’emportent, seule la lutte peut faire changer les choses. Il affirme qu’il luttera toute sa vie. Pourtant, ses 40 ans de militantisme lui ont causé des problèmes de santé. Des affrontements avec les forces de l’ordre lui ont par ailleurs valu des opérations médicales et plusieurs gardes à vue. Sa femme Louisette s’implique aussi dans les luttes sociales. Aujourd’hui, elle avoue s’inquiéter pour son mari et son fils. Surtout, elle ressent une intense fatigue.

À Chauvé, le 25 mai, Hubert au milieu d'un des champs de son exploitation. Photographie : Collectif Prism pour Radio Parleur
À Chauvé, le 25 mai, Hubert est au milieu d’un des champs de son exploitation. Photographie : Collectif Prism pour Radio Parleur

Il faut passer du temps avec ces acteur‧ices de la ruralité pour se rendre compte à quel point les campagnes cristallisent les enjeux agricoles de demain. Paysan‧nes bios, agriculteur‧ices intensifs, villageois‧es présent‧es depuis longtemps, néoruraux : plusieurs mondes cohabitent et construisent le territoire.  Mais qui ont également des difficultés à se comprendre et à coexister.

Yoann Maurice confie que, même avec son collectif, il se sent parfois seul face à celleux qui qui s’autorisent à s’en prendre à sa famille et à ses terres. Un sentiment d’isolement et d’impuissance renforcé lorsqu’il doit faire face aux institutions, aux syndicats et à la chambre d’agriculture, plutôt opposés aux modèles alternatifs, perçus comme peu rentables.

Contactés, le syndicat agricole FNSEA et la mairie de Chauvé ont refusé de répondre à nos sollicitations concernant les menaces et le rôle qu’ils auraient pu jouer dans les tensions entre paysan‧nes.

Un reportage de Simon Guérin-Besnier, Alexis Coulon et Quentin Vernault du Collectif PRISM. Photo de Une : Collectif PRISM pour Radio Parleur.

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