Mur de prison Lahass

Lahass – En prison, « le COVID nous a coupé du monde »

Enfermé dans les 9m² de la prison de Fresnes 22 heures par jour, Lahass a dessiné le quotidien de ses quatre murs. Il en tire une BD, Brèves de Prison, publiée aux éditions La Pigne, fin février. Entretien avec un auteur immergé dans l’hyper-confinement et la privation de la moindre liberté en temps de pandémie.

L’idée de faire une BD, un « strip de 3 cases »  comme il l’appelle, Lahass l’a depuis longtemps. Ironie du sort, la prison lui en donne finalement l’opportunité : « Finalement, ça m’a forcé à me poser, à dessiner. » Il les envoie d’abord à sa petit-amie, qui les publie alors sur un blog. Ses brèves racontent les histoires entre détenus, les matchs de foot, le nouvel an : « On s’amusait à trouver des histoires drôles en promenade. Il y a plusieurs blagues que j’ai réutilisé dans mes brèves. »

« C’était juste pour m’exprimer et sortir ce que j’avais sur le cœur »

Jour après jour, il raconte le quotidien carcéral : « C’est le vécu en prison, dans ce milieu clos, un peu tabou. Tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne peut pas se rendre compte. Il n’y a rien qui prépare à ça ». Pour lui, une journée se résume à deux promenades, d’une ou deux heures le matin, la même chose l’après-midi. Les gamelles arrivent à heures fixes en cellule. Il n’y a pas de salle de restauration. « La prison de Fresnes est vraiment dégueulasse. Donc on essaye de se faire un cocon de propreté, avec les gens avec qui on parle aussi. C’est important pour le maintien d’une bonne santé mentale. »

Au-delà de questions sanitaires, Lahass met l’accent sur l’importance de garder une certaine stabilité, pour rester fort mentalement : « Le plus difficile, c’est vraiment de savoir qu’on n’a plus la main sur notre liberté de mouvement. Les premiers mois, j’ai vraiment souffert.»

« Ça rend sauvage la prison » – Lahass

Lahass partage sa cellule avec un codétenu. S’il s’entend plutôt bien avec celui-ci, d’autres sont moins chanceux. La promiscuité, les tensions qu’elle génère, la nervosité ambiante, sont autant de points de bascule. « On ne peut pas rester serein et stable. La pression est maximale, on vit entassés les uns sur les autres. »

Même les moments passés à l’extérieur peuvent rapidement devenir une épreuve. « Une promenade, c’est à peine 10m². Il y a des gens sales, des fumeurs, des nerveux. Et puis les matons, qui parlent mal. » Dans certaines brèves, sous couvert d’ironie, Lahass fait ressentir cette atmosphère pesante. Il admet d’ailleurs à demi-mot avoir eu peur plus d’une fois.

Dans la prison, le dessin et les envies reviennent

Lahass raconte les « activités » proposées par l’institution pénitentiaire, qu’il estime mal organisée. Les détenus sont censés avoir accès à une salle de sport, des ateliers artistiques, des cours. Lui a pris des cours par correspondance au CNAM, un centre d’étude par correspondance, et a passé un examen d’assistance PME/PMI. « Pour la petite histoire, j’ai utilisé les feuilles pour dessiner après. Il n’y a pas de feuille blanche en prison. »


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Réfléchir et dessiner sont ses deux principales activités. « En prison, on a le temps de penser, à nos erreurs mais aussi à ce qu’on a bien fait. » Paradoxalement, il estime que son incarcération lui a été bénéfique. Avant la prison, il tourne en rond et broie du noir. Sa vie fait du sur-place. « Je vivais seul et comme un reclus. » Après une école de cinéma en 2007, il réalise des petits court-métrages pour des potes, dessine un peu à ses heures perdues.

Ses rêves et ses envies sont perdues dans les limbes. « Des fois on se sent enfermés dans un travail, une relation… On se définit par rapport un métier, une activité. On nous met dans des cases. » Finalement, il profite de son année d’incarcération. « Je me suis étonné moi-même, à me retrouver avec trois cahiers remplis, deux BDs réalisées. Une manière de rester en vie. »

Puis vint le temps du Covid

Lahass réalise la gravité et l’impact de la pandémie lorsque les parloirs sont interdits. Le Covid, ils en entendent parler de loin, à la télé. Mais très vite tout est bouleversé : « On s’est juste retrouvés avec la promenade, vraiment coupés du monde, isolés. » Ils n’ont ni masques, ni gel. « Juste pour les surveillants. Il n’y avait pas de distanciation, on se marchait dessus ». Et l’extérieur devient angoissant. « Quand je suis sorti, c’était vraiment bizarre. Des masques partout, du gel hydroalcoolique partout. J’ai dû porter le masque. C’était comme un film de SF. » Aujourd’hui, Lahass est libre, tant artistiquement qu’humainement. Restent ces brèves, simples et percutantes, d’un monde auquel bien peu de gens ont accès, et que très peu racontent.

Entretien réalisé par Coline Desselle. Photo de Une : mur de la prison de Fresnes. Creative Commons.

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