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Agroalimentaire, l’omerta règne dans une Bretagne sous tension

Après des mois de procédure judiciaire et à quelques jours de l’audience, Cheritel abandonne ses poursuites contre Inès Léraud et Basta. Cette manoeuvre juridique est loin d’être un cas isolé. Chercheurs, agricultrices ou journalistes : en Bretagne, les pressions s’enchaînent lorsqu’il s’agit de briser l’omerta sur les pratiques de l’agro-industrie.

Le procès n’aura finalement pas lieu. « Coup de pression typique », peste Inès Léraud. La journaliste d’investigation et le média Basta! auraient en effet dû être jugé·es ce jeudi 28 janvier 2021. Le groupe agroalimentaire Cheritel les poursuivait pour diffamation en raison d’une enquête sur les méthodes de l’entreprise. L’entreprise a annulé les poursuites à quelques jours de l’audience. Ces pressions, judiciaires entre autres, sont devenues habituelles. Lors d’autres enquêtes pour le compte de France Culture notamment, les témoins d’Inès Léraud ont même reçu des menaces de mort. « Avec une collègue de la presse régionale on s’est demandé si on n’était pas surveillées. Les renseignements généraux nous ont confirmé que oui », confie la journaliste.

La loi du silence face à l’agro-industrie en Bretagne

Cette omerta, les quelques journalistes, lanceur·euses d’alerte et agriculteur·rices qui s’expriment sur le modèle agroalimentaire breton la dénoncent unanimement. Très influent dans la région, le secteur a des relais dans toutes les instances de pouvoir, politiques incluses. « Cette mainmise sur l’économie se transforme vraiment en mainmise sur la pensée » raconte Inès Léraud.

Pointé du doigt comme symbole de ces proximités, Olivier Allain est l’ancien président de la branche départementale de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, syndicat majoritaire et productiviste). Après un passage par la Chambre d’agriculture des Côtes d’Armor, il est aujourd’hui vice-président de la Région à l’agriculture et à l’agroalimentaire. Contacté par téléphone, il déplore pourtant d’être privé de parole médiatique. « La victime de l’omerta, c’est moi », affirme-t-il. « Les médias ne me donnent pas la parole. » Dans un passage de la bande dessinée d’Inès Léraud, l’élu fait partie d’un groupe d’hommes venus intimider André Ollivero en décembre 2011. Mais lorsqu’on évoque ce passage avec lui, l’homme politique s’énerve. Il coupe court à l’interview.


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Morgan Large est journaliste depuis une vingtaine d’années pour la radio locale bilingue franco-bretonne RKB. Elle a accepté d’apparaître dans le dernier documentaire de France 5, notamment sur la politique avicole du conseil régional. Mais elle n’imaginait pas de telles répercussions. Dès le lendemain, les représailles se déchaînent : des centaines de messages reçus, les portes des locaux de sa radio fracturé. Ces intimidations touchent jusqu’à sa vie privée. Un jour, chez elle, son champ est ouvert et ses chevaux relâchés sur la route. « C’est de l’intimidation, il y a une disproportion du rapport de force entre le lobby agroalimentaire et moi » affirme la journaliste. 

Morgan Large, journaliste à RKB, affirme qu’il est de plus en plus complexe d’aller chercher la parole des agriculteur·rices. Photo : Anaëlle Abasq

Critiquer un modèle agricole, mais défendre les agriculteur·rices

« La définition que fait la FNSEA de l’agribashing c’est la critique de l’agriculture. Il n’y a pas de critique de l’agriculture, c’est la critique de certaines pratiques. Mais nous, on défend justement les paysans » affirme Isabelle Alain. L’éleveuse est porte-parole de la Confédération paysanne des Côtes-d’Armor. Un discours qui revient d’ailleurs chez toutes les personnes qui témoignent : iels veulent défendre les agriculteur·rices « contre un système qui les exploite ».

Valérie Lazennec, éleveuse laitière à Brest, a compris que la remise en cause du modèle majoritaire n’est pas une mince affaire. Cette paysanne impliquée dans la filière biologique depuis plus de 20 ans mène un combat contre l’artificialisation des terres agricoles autour de sa ville. « On a commencé à défendre cela et on s’est rendus compte que c’était bien plus complexe que l’on pensait. On s’est fait matraquer de tous les bords, notamment par les instances agricoles majoritaires » ajoute-t-elle.

Valérie Lazennec, éleveuse laitière à Brest, dénonce un système où les agriculteur·rices n’ont plus le choix de leurs décisions et investissements. Photo : Vic.

« Il n’y a pas que la peur. Il y a quelque chose à l’intérieur de nous qui est blessé car pour nous c’est tellement évident … Ça fait tellement mal de se dire que peut-être de mon vivant je ne verrai jamais d’évolution. C’est presque ça qui fait le plus mal », confie pour finir Valérie Lazennec.

Un reportage d’Anaëlle Abasq. Photo de Une : Vic pour Radio Parleur.

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