A Saint-Martin-Le-Vinoux, en périphérie de Grenoble, un projet de construction de logements cristallise les tensions. Entre les barres d’immeubles des années 1950 les habitant·es se réunissent autour d’un petit lopin de terre qu’ils tentent de sauver coûte que coûte. Face à l’imminence du terrassement, les jardins de la Buisserate entrent en résistance.

Assis sur sa chaise de jardin, au milieu de sa cabane de fortune, Raphaël Bichebois voit les gens s’agiter autour de lui. Quelques outils, un escabeau vert et des piquets en bois remplissent son local de fortune. Depuis quelques semaines, ils et elles sont de plus en plus nombreux·ses à venir sur ce petit bout de terrain coincé entre le massif de la Chartreuse, la voie ferrée et les barres d’immeubles. Lui cultive le jardin au fil des saisons depuis près de soixante-dix ans. « Le terrain appartenait à Monsieur David. Je promenais souvent les gosses à côté. Un jour, il vient et il me fout un outil dans la main, une bêche, et me dit : “Montre moi ce que tu sais faire”. Tu penses, moi je faisais tout à la main », se souvient l’ancien résistant.

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Il s’attaque d’abord à la taille des vignes, prolifiques dans les environs. Elles ont même donné leur nom à la ville. Le propriétaire lui permet alors de cultiver un petit bout de terre. Peu à peu, le jardin s’étoffe. En tout, trente cinq arbres fruitiers ornent la bande de terre de 5 000 m2. Ouvrier de l’usine Merlin Gerin – aujourd’hui propriété de la multinationale Schneider Electric – spécialisée dans les équipements électriques, il vit dans un petit appartement juste à côté. A 96 ans, il porte un regard bienveillant sur celles et ceux qui viennent l’aider à entretenir le jardin. Mais cette quiétude se trouve menacée.

Une remise en cause de l’artificialisation des terres

Racheté par la métropole en 2012, les jardins de la Buisserate sont ensuite vendus au promoteur immobilier Cogedim qui envisage de créer quatre immeubles. En tout, 88 logements devraient voir le jour : 34 logements sociaux, 24 locations privées et 32 lots d’accession à la propriété. Ces constructions permettraient à la commune d’atteindre les 25% de logements sociaux prévus par la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain). Mais sur 5000 mètres carrés de jardins existants aujourd’hui, seulement 700 m2 seraient conservés. « Je comprends que les habitants veuillent de la verdure en ville surtout en cette période post-confinement, mais le compromis de vente a été signé depuis presque trois ans », explique Vincent Rémy, directeur général de l’Établissement Public Foncier Local (EPFL). Pour stopper le projet, il faudrait que la ville rachète les terres. Mais le montant de l’achat s’élèverait à plusieurs millions d’euros.

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Le jardin, objet d’un conflit politique entre forces politiques locales

Une opposition se cristallise entre la mairie et une partie des habitant·es sur la manière d’organiser le territoire. Si la municipalité souhaite densifier le nombre de logements près du tram, inauguré en 2015 pour rallier Grenoble, les opposant·es souhaitent conserver cet espace vert. Ancien élu du groupe RCGE (Rassemblement Citoyen de la Gauche et des Ecologistes) en 2014 à Grenoble avant d’en être exclu, Guy Tuscher pointe l’écart entre les paroles et les actes des élu·es de la métropole. « J’ai bien regardé ce qui était dans le nouveau Plan local d’urbanisme intercommunal voté par la majorité Piolle et par la métropole. Il autorise encore et toujours une consommation des terres agricoles et des espaces en pleine terre. Ils ont prévu une légère diminution de cette consommation mais pas de beaucoup. C’est absolument aberrant quand on veut faire une écologie efficace », analyse t-il.

Et la lutte prend forme

Sur le jardin, le lutte s’organise pour protéger le terrain. Les militant·es associatifs, mais aussi du collectif Avenir des terres ont été rejoint·es par des habitant·es. Ils et elles se relaient pour arroser le petit potager. Mais mi-septembre des vigiles ont été dépêchés sur place pour sécuriser le terrain. Les intrusions s’avèrent plus difficiles. Seul Raphaël peut encore fouler le terrain. Mais seul, impossible de s’occuper de tout le jardin. Un crève-cœur pour Titi, jardinier amateur depuis deux ans aux jardit de la Buisserate. « On ne se rend pas compte, mais quand on est dedans, on a l’humus, les fruits qui pourrissent au sol, tout ça … Je sais pas si vous avez eu ça dans votre enfance, mais on a ces odeurs. Là, ici, on l’a. Faut pas le détruire, c’est tout », lance Titi.

Titi cultive le jardin depuis près de deux ans. Un jardin qui lui rappelle son enfance et qu'il compte bien conserver coûte que coûte. Photo : Tim Buisson pour Radio Parleur.
Titi cultive aux jardins de la Buisserate depuis près de deux ans. Un jardin qui lui rappelle son enfance et qu’il compte bien conserver coûte que coûte. Photo : Tim Buisson pour Radio Parleur.

La pression s’amplifie pour faire plier la mairie et le promoteur immobilier. Et les habitant·es se prennent à rêver. « C’est vraiment un endroit riche qui pourrait permettre la rencontre des habitants. Les écoles pourraient venir. Certains habitants souhaitent un terrain de pétanque, un atelier vélo, d’échange de pratiques », s’enthousiasme Isabelle qui habite le quartier depuis huit ans. Un quartier sous tension et qui se paupérise. Les petits commerces sont moins nombreux qu’avant en ville. « Pour stabiliser les classes moyennes c’est important d’avoir un cadre de vie riche culturellement, de faire en sorte que les gens puissent se rencontrer. C’est ça ce qui permet la mixité », souligne Isabelle. Le dialogue est difficile avec la métropole, la mairie et encore plus avec le promoteur [1] . En attendant, Raphaël continue de cultiver son jardin avant, peut-être, la dernière récolte aux jardins de la Buisserate.

A Grenoble, reportage de Tim Buisson. Photo de Une : Tim Buisson.

[1] Le promoteur immobilier et la mairie n’ont pas répondu à notre demande d’interview. La métropole n’a pas donné suite à notre demande, nous renvoyant vers la commune de Saint-Martin-Le-Vinoux.