Pour ces propos, il a été suspendu douze mois par le ministère de l’Intérieur. Alexandre Langlois est secrétaire général du syndicat VIGI… et lanceur d’alerte dans la police. Il n’a de cesse d’alerter sur le malaise de sa profession et critique la doctrine du maintien de l’ordre en vigueur depuis 2016. On vous propose de reécouter notre entretien, alors que le livre Flic, de Valentin Gendrot journaliste infiltré deux ans au sein des forces de police, raconte l’envers de la profession et fait polémique depuis sa parution aux éditions Goutte d’Or.
Un entretien enregistré au salon des lanceurs d’alerte 2018 et diffusé pour la première fois le 28 décembre 2018 accompagné de l’article ci-dessous :
La trentaine, les cheveux courts et un sourire en coin, Alexandre Langlois vient prendre place autour de la table où nous l’attendons, à l’étage de la maison des Métallos. Dans le cadre du salon, ce lanceur d’alerte dans la police interviendra dans une table ronde avec Omar Slaouti, militant des quartiers populaires et membre du Comité Vérité et Justice pour Ali Ziri et Frédéric Ploquin, journaliste à Marianne. Le thème : « Police, où est le malaise ? ».
À 37 ans, ce gardien de la paix des renseignements intérieurs vit dans les Yvelines et a sa carte à la CGT Police. Ou plutôt avait. Alexandre Langlois nous corrige aussitôt : « on se présente sous l’étiquette VIGI, maintenant. On a eu des désaccords sur quelques points avec la fédé, au niveau des élections professionnelles ». Lors du congrès de la Confédération Général du Travail qui a eu lieu du 19 au 21 juin 2017, le syndicat a effectivement été rebaptisé VIGI Ministère de l’Intérieur.
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Une répression syndicale pour le lanceur d’alerte
Depuis plusieurs années, Alexandre Langlois s’est lancé dans un combat contre la « falsification des chiffres » de la délinquance dans les Bouches-du-Rhône, qui dégrade les conditions de travail et pousse ses collègues au suicide : un parcours semé d’embûches. Il a déjà payé cher son engagement syndical dans la police et sa position de lanceur d’alerte. Un matin, il apprend qu’il ne bénéficie plus de son bureau. Une autre fois, c’est la prime de résultats exceptionnels à titre collectif, qu’on lui supprime en raison de son temps de délégation syndicale qui n’aurait pas « permis sa participation à l’effort collectif ». Et si une majorité de ses collègues choisissent de fermer les yeux, lui est bel et bien décidé à les ouvrir en grand et à se faire entendre.
« Certains sont poussés par la hiérarchie au suicide pour avoir osé dénoncer les dérives »
Depuis plusieurs années déjà, les voix s’élèvent pour dénoncer le malaise grandissant au sein des forces de police. Avec parfois des conséquences dramatiques. Le taux de suicide dans la police est traditionnellement au moins trois fois plus important que dans la population générale. Le 12 novembre, c’est Maggy Biskupski, l’une des porte-paroles de l’association Policiers en colère, qui se donne la mort. Trois autres policiers se sont aussi suicidés en dix jours. Cela porte à 33 le nombre de décès depuis le début de l’année 2018. 49 policiers et 16 gendarmes en 2017.
Des fonctionnaires dont la hiérarchie détecte trop rarement la souffrance. Quand celle-ci n’est pas directement responsable de ces suicides, souligne le jeune syndicaliste : « certains collègues sont poussés par la hiérarchie au suicide pour avoir osé dénoncer les problèmes de notre profession ». Maggy Biskupski, notamment, faisait l’objet de poursuites par l’inspection générale de la police nationale (IGPN) pour violation du devoir de réserve.
« On ne peut pas être solidaire de tout et n’importe quoi dans les forces de l’ordre »
Alors, Alexandre Langlois, camarade policier ? Le 18 mai 2016, certains syndicats majoritaires appellent à un jour de manifestation contre « la haine antiflics ». Alexandre Langlois choisit de porter une autre voix. Alors que beaucoup de médias se concentrent sur la place de la République, où sont présent·es des élu·es du Rassemblement National (RN) comme Marion Maréchal-Le Pen ou Gilbert Collard, lui et d’autres collègues s’éclipsent du rassemblement soigneusement bouclé pour aller à la rencontre de militant·es de Nuit debout, présent·es à quelques mètres. Le dialogue, inattendu, se tend rapidement. Mais pour beaucoup de manifestant·es présents ce jour-là, il a au moins le mérite d’exister. Quelques semaines après cette première prise de contact, il va plus loin. Il les accompagne au cœur du cortège des manifestant·es contre la Loi Travail, avec des pancartes dénonçant les « violences d’Etat ».
Un an plus tard, récidive : Alexandre Langlois est à Aulnay-sous-Bois, deux mois seulement après l’affaire Théo. Il participe à un débat public organisé sur le thème des violences policières, en plein cœur de la Rose-des-Vents. C’est là qu’une patrouille blesse gravement jeune homme. Une cinquantaine de riverain·es sont présent·es, dont le frère et la sœur de Théo. Hadama Traoré, du collectif « la Révolution est en marche », prend aussi la parole.
Un lanceur d’alerte qui appelle à rejoindre les Gilets Jaunes
Le samedi 8 décembre 2018, VIGI Police se rallie aux Gilets Jaunes. L’organisation syndicale dépose un préavis de grève illimitée à partir du samedi 8 décembre 2018, pour les personnels administratifs, techniques, scientifiques, ouvriers d’État et cuisinier·es de la police nationale, soit le même jour que l’acte IV des Gilets Jaunes à Paris. « Les revendications portées par le mouvement des gilets jaunes, nous concernent tous. Il est temps de s’organiser légalement et d’être solidaire avec eux, pour l’avantage de tous. Nous sommes concernés car nous faisons partie du peuple. Notre préoccupation est de boucler la fin du mois et non de changer les moquettes de l’Elysée pour 300 000€ !!! », publie le syndicat dans son communiqué, illustré d’une photo montrant des policiers, de dos, endossant un gilet jaune.
Des syndicats policiers majoritaires « affiliés » à la haute-hiérarchie
L’un des points communs à ces appels, c’est la critique des syndicats majoritaires pour leurs liens avec la haute-hiérarchie. Adhérant à Alliance dans sa jeunesse, Alexandre Langlois constate que ce syndicat sert surtout aux avancements et à la carrière… quitte à cultiver une certaine affiliation à la haute-hiérarchie. Une proximité qu’il dénonce jusque dans la répression pour un éventuel lanceur d’alerte dans la police. Certains cadres syndiqués menaceraient de punir tout manquement à la solidarité et à l’esprit de corps.
Le jeudi 20 décembre, VIGI soutient le mouvement des « Gyros bleus », calqué sur les Gilets Jaunes. Lancé par l’association Mobilisation des policiers en colère (MPC), il se veut à la fois apolitique et « asyndicale ». Le mouvement appelle ses sympathisant·es à manifester ce soir-là à Paris, devant le commissariat du VIIIe arrondissement.