Une école au beau milieu d’un échangeur autoroutier, inconcevable ? Pas à Saint-Denis. Les 700 élèves du groupe scolaire Anatole France à Saint-Denis. Au cœur des projets du Grand Paris et des Jeux Olympiques, le quartier Pleyel s’apprête à subir des « transformations sans précédents »… et un bras de fer avec ses habitant·es, qui ont obtenu la suspension du projet d’échangeur.
À la sortie du métro Carrefour Pleyel, une grande tour désamiantée règne sur le quartier. A son pied, bientôt, un échangeur autoroutier et ses 5 bretelles viendront faire transiter pas moins de 20 000 véhicules par jour, selon le collectif Pleyel Avenir. Le projet – ayant pour objectif de relier les autoroutes A86 et A1 – était resté dans les tiroirs de Plaine Commune depuis 2015, trop coûteux et contesté.
Les Jeux olympiques de 2024 offrent une nouvelle vie au projet d’échangeur à Pleyel : la nécessité se faisant de relier le village olympique de Pleyel et le village des médias (qui répond au doux nom de “cluster des médias”) du Bourget. Le budget alloué est colossal : 95 millions d’euros provenant de l’État de et la région.
L’échangeur de Pleyel mauvais pour la santé des enfants
Au cœur des projets de réaménagements touchant Pleyel, les habitant·es et leurs enfants. A quelques mètres à peine de l’échangeur une école de plus de 700 élèves. Hamid, parent d’élève membre de la FCPE nous l’affirme “le groupe scolaire se retrouverait au centre d’une sorte de rond point autoroutier à double sens”. Au vu du temps passé au sein de l’établissement et de la concentration de la pollution, les conséquences sanitaires seraient désastreuses pour enfants et enseignant·es.
La question de la pollution du quartier se pose déjà depuis longtemps. Benjamin, membre du collectif Pleyel Avenir, nous indique que les chiffres de 2017 fourni par Plaine Commune sont clairs : “le quartier est pollué 20 fois au dessus des normes de l’OMS”. Ce dernier déplore aussi le manque de transparence des institutions sur la pollution du quartier. “À l’époque on a pas voulu nous donner les chiffres parce que c’était soi disant des chiffres bruts, mais nous on le respirait, il suffit d’essuyer les vitres avec un mouchoir pour voir que c’est plus noir qu’à la campagne”.
Dépolluer l’air en multipliant les bretelles d’autoroute ?
C’est dans ce sens que les promoteurs des projets de réaménagements du quartier ont développé leurs arguments de vente auprès des citoyen·nes. Cependant le paradoxe saute aux yeux des habitant·es du quartier : comment pensent-ils réduire les pollutions en augmentant le nombre de bretelles et de voitures ?
“Ils ont créé un périmètre dans lequel ils mesurent les pollutions en moyenne,” explique Benjamin, qui dénonce des comptes d’apothicaires incohérents. Si l’air est localement de plus en plus pollué, les moyennes mesurées dans ce périmètre baissent un peu. De quoi tirer des conclusions… un peu hâtives pour Benjamin. “Ils considèrent dans leurs projections que dans 20 ans il n’y aura plus de voitures thermiques, mais seulement des voitures électriques…” Augmenter les flux de circulation n’aurait donc, dans ce monde idéal, qu’un impact limité sur la pollution de l’air. “Ils n’ont jamais, publiquement, voulu aller plus loin que ce débat, et ont essayé d’invisibiliser ce que nous pouvions dire, en montrant les gros chiffres à tout le monde,” s’énerve Benjamin.
L’alternative citoyenne face aux réaménagements
Afin de ne pas rester sur la touche, les citoyen.·es se sont organisé·es au sein de collectifs comme Pleyel Avenir, ou via la FCPE. Ainsi, de nombreuses propositions d’aménagements alternatifs ont été proposées. Un contre projet détaillé, prenant en compte les différentes problématiques d’aménagements : celle de l’échangeur de Pleyel, mais aussi le franchissement urbain devant relier les futures gares du Grand Paris Express. Ce contre-projet remet l’expertise citoyenne au cœur du débat : “on a pris au sérieux le jeu de la démocratie qui est de se concerter ; on est des experts de notre territoire, on sait ce qui a merdé depuis les 30 dernières années” appuie Benjamin.
La solution trouvée par les habitant·es pour régler le problème de la pollution peut paraître anodine : éloigner les voies de circulation des lieux de vie. Le contraire, en somme, du modèle sur le quel les autoroutes françaises ont crevé les villes dans les aménagements des années 70 et 80. “Dans tout projet urbanistique, quand une agglomération est congestionnée, on met le trafic routier en extérieur ou en périphérie, on a jamais mis du trafic à l’intérieur d’une agglomération,” justifie Hamid.
Y a-t-il la place à Saint-Denis, commune littéralement collée à Paris ? Pleyel ne possède aucun quartier à sa périphérie. Enclavé entre la Seine à l’ouest, et les voies de chemin de fer à l’est. Il parait donc faisable de déporter la circulation sur ces deux périphéries. Cependant, les projets d’aménagement urbains ne se réduisent pas aux routes, gares et infrastructures sportives présentes et futures. Deux grands lotissements, à la valeur immobilière très élevée, pourraient voir le jour aux abords du quartier. Le premier regarderait la Seine, l’autre les voies de stockage de la SNCF. “C’est pour protéger ces deux grands lotissements que le projet veut concentrer la circulation au centre du quartier. On assiste à une sanctuarisation de terrains sous prétexte qu’il y aura de l’habitant qui viendra après,” s’insurge Hamid.
Le projet suspendu par la cours administrative
Le 5 mais 2020, les habitant·es du quartier ont obtenu de la Cour administrative d’appel de Paris la suspension de l’arrêté préfectoral rendant le projet d’échangeur d’intérêt public. Celle-ci “reconnaît un défaut de concertation”. Benjamin s’en réjouit :“c’est une victoire, pour la première fois on a l’impression d’être entendus ! Ça montre qu’on est pas complètement débiles, et que notre contre-projet peut être tout à fait viable.” Après cette première victoire, les affaires ne sont pas pour autant fini pour ces habitant·es. En effet, la décision de justice va surement être remise en cause devant le conseil d’Etat. C’est donc une longue et coûteuse bataille juridique qui s’amorce. Pour financer les frais de justice, la FCPE Pleyel a lancé un crowfounding, et espère ainsi lever 6000 euros.
Un reportage et des photographies réalisées par Pierre-Louis Colin.