Un 1er mai 2020 exceptionnel. La journée internationale des travailleur·euses, privée du traditionnel long défilé dans les rues, se déporte dans les salons, sur les balcons et sur les réseaux sociaux. Malgré la peur de la sanction, ielles ont été quelqu’un·es à se rassembler dans la rue.
Comment exprimer sa colère sans manifestation, en ce jour de 1er mai historique ? Suivre des conférences en ligne plébiscitant un “jour d’après” pour un changement de modèle de production ? Organiser un concours de la plus belle banderole de balcon ? Chanter de sa plus belle voix un Bella Ciao vers le ciel ? Les mobilisations se réinventent pour les travailleurs et travailleuses. En ce jour “sacré”, rien n’empêchera certain·es de se retrouver dans la rue.
Depuis quelques jours, un appel à se rassembler à 15 heures devant la mairie de Montreuil (Seine-Saint-Denis) circule sur les réseaux sociaux. Le jour J, les forces de police sont présentes partout sur les axes principaux de la municipalité. Des membres d’une brigade de solidarité distribuent de la nourriture sous les Halles du marché de la Croix de Chavaux en début d’après-midi. Vers 14h30, ce petit groupe d’une dizaine de personnes se retrouve nassé et certain·es écopent d’amendes de 135€ pour non-respect du confinement. Devant la mairie, 15 camions de CRS stationnent, rendant impossible tout rassemblement.
Pas de pause pour les revendications
“Depuis 40 ans je fais toutes les manifs du premier mai”, martèle Wahida, Gilet Jaune active de Montreuil, venue avec son amie Auria. Réfugié·es devant un local associatif, les militant·es expriment leur colère sur le trottoir et leurs frustrations face aux événements. “On avait l’intention de respecter les gestes barrière […] on s’attendait à ce que les policiers soient là, mais ce déploiement de forces impressionnantes, je ne m’y attendais pas”, explique cette syndicaliste intérimaire.
Les deux amies sont des habituées des manifestations, et pas seulement du 1er mai. Sur le pavé, d’autres se joignent à elles pour dénoncer la précarisation des travailleur·euses, une médiocre gestion de la crise sanitaire ou la répression policière qui s’abat. Monique, sexagénaire tentée par le jet de prunes sur les forces de police, n’en démord pas : “Sortir un 1er mai, j’allais pas me gêner ! J’espère que 60% de la population française est aussi en colère que nous.” Pour elle, la colère est telle que malgré l’interdiction et le risque d’amende, il fallait sortir.
Une politique “pour l’argent et qui ne tient pas compte des salarié·es”
A 19 heures sur la Place des fêtes dans le 19ème arrondissement de Paris, Odette est elle aussi sortie de chez elle pour se rassembler avec une cinquantaine de personnes. Avant la manifestation, dès le petit matin du 1er mai 2020, elle a fait une pancarte. Cela n’aurait rien d’exceptionnel si ce n’était pas la première fois de sa vie, à 67 ans. La période de confinement a exacerbé sa colère face à une politique “pour l’argent et ne qui ne tient pas compte des salarié·es”.
Alors qu’un jeune homme joue l’Internationale à la flûte traversière, René avoue qu’il vient aussi par tradition pour le 1er mai. “Il faut montrer qu’on est là, que la colère gronde”, assène-t-il. Peut-on exprimer sa colère de chez soi ? “Quand nos libertés sont réduites à rien c’est très difficile de s’affirmer […] c’est la police qui fait la loi et ça c’est grave”, défend-il derrière son masque. Peu après 20 heures, après quelques chants et les applaudissements d’usage lancés, une voiture de police apparaît dans un coin de la place, dispersant instantanément le groupe qui s’enfuit.
Une date historique révélatrice des colères
Pour Danielle Tartakowsky, historienne spécialiste des mouvements sociaux, “le 1er mai est devenu une opportunité qui permet de cristalliser les exigences du moment”. Selon elle, les revendications portées actuellement notamment par 19 organisations syndicales et associatives dans une tribune “sont celles que l’on pouvait trouver dans les manifestations il y a deux mois contre les retraites”.
Le confinement qui hypothèque la manifestation du 1er mai est-il un frein à l’expression des colères ? Pas pour cette spécialiste : “Je ne pense pas que le confinement ait mis un terme à l’opposition qui s’exprime avec force depuis plusieurs mois dans ce pays. Il a simplement donné encore plus de visibilité à un certain nombre de choses, pas forcément admises par le plus grand nombre.”
Le changement de rythme des mouvements sociaux et des luttes se fait toutefois sentir pour les militant·es. “Nous sommes passés d’un “temps de tension”, d’accélération des luttes à un temps où l’événement social semble avoir disparu, un temps qui paraît éteint alors même que les menaces continuent d’exister”, détaille-t-elle en référence aux manifestations contre la réforme des retraites et au mouvement des Gilets Jaunes.
Un reportage réalisé par Romane Salahun. Photo de Une : Pierre-Olivier Chaput.