La vague Metoo peut-elle avoir un impact sur les élections municipales ? En pleine campagne électorale, Radio Parleur a posé la question à Fiona Texeire, collaboratrice d’élu·es et initiatrice de la tribune “#Metoo des territoires”, Lenaïg Bredoux, journaliste à Mediapart et Rosalie Salaün, responsable de la commission Féminisme d’EELV et chroniqueuse à Radio Parleur.
Éviter que les maires accusés de harcèlement et d’agressions sexuelles ne se représentent aux élections. Tel est l’objectif de la tribune “Metoo des territoires” pour les municipales, publiée en novembre dernier et signée par près de 250 personnalités du monde politique et associatif. Lancée par Fiona Texeire, collaboratrice d’élus, ce texte demande aux partis politiques de “prendre leurs responsabilités pour garantir une ambiance de travail plus sereine dans les mairies, un fonctionnement plus apaisé de la démocratie locale et une plus grande sécurité pour les personnes victimes de violences”.
L’histoire commence après une enquête publiée par Mediapart, illustrant des dérives dans plusieurs villes : Lorient, Saint-Nazaire, Villepreux ou encore Laval. Dans le chef-lieu de la Mayenne, le maire François Zocchetto est accusé de violences sexuelles par une ancienne collaboratrice ministérielle. Une accusation qui le fera renoncer à présenter sa candidature.
“Très peu de maires renoncent”
Une situation assez rare pour Lenaïg Bredoux, journaliste à Mediapart, spécialisée dans les affaires de violences faites aux femmes. A la veille des municipales, la vague Metoo n’a pas encore atteint les équipes de campagne. “Très peu de maires renoncent à être candidats. Et si François Zocchetto a renoncé, lui, son parti l’UDI n’a eu aucune réaction globale et il a regretté ce choix. Personne ne s’est dit que c’était l’occasion de mettre en charge une procédure ou un système d’alerte”, détaille-t-elle. Rosalie Salaün, responsable de la commission Féminisme d’EELV et chroniqueuse chez Radio Parleur, estime qu’un parti politique est avant tout une entreprise qui présente des candidats avec des réseaux de loyauté. Elle pose la question des complicités dans ces violences, comme dans l’affaire Denis Baupin où les premiers témoignages remontent à 1994. “Tout le monde savait. Mais personne n’a rien dit.”
Des inéluctables conséquences sur la carrière
Se taire. Jeter un voile sur son agression, parfois pendant de longues années. C’est le reproche récurrent fait à ces femmes. “Il y a des conditions pour qu’une victime puisse prendre la parole en public”, poursuit Rosalie Salaün. “Dans l’affaire Baupin, toutes celles qui se sont exprimées se sont émancipées des réseaux de leurs agresseurs.” L’exemple aujourd’hui le plus frappant est le cas d’Adèle Haenel qui a réussi à prendre la parole car elle est désormais en position de force face à son agresseur.
Cependant, même une fois l’abri, il faut du temps pour réussir à se confier comme l’explique Fiona Texeire. “Le témoignage est une étape dans le processus de reconstruction. Il faut d’abord sortir de l’emprise, du contexte de dangerosité et de violence. Et trouver la force de se reconstruire. Il faut attendre que le rapport de force s’inverse, ce qui prend du temps. Le parcours judiciaire constitue également une épreuve supplémentaire avec la convocation de souvenirs douloureux. Il est difficile de faire reconnaître par la justice qu’on est une victime. Doit-on reprocher à des femmes de n’avoir ni les ressources financières ni psychologiques pour entamer un combat judiciaire qui dure des années ? On est dans un rapport du fort au faible car les élus sont protégés tandis que leurs collaboratrices ont un statut précaire.”
95% des victimes de harcèlement au travail perdent leur emploi
Rosalie Salaün rappelle un chiffre : 95% des victimes de harcèlement au travail perdent leur emploi, leur réseau de soutien, démissionnent ou changent de région. Et les conséquences sur la carrière peuvent être immédiates, comme l’illustre l’affaire de la mairie de Saint-Nazaire. Gaëlle Betlamini Da Silva, élue à la commission éducation et jeunesse, a confié à certaines collègues des violences sexuelles qu’elle dit avoir subies de la part de l’adjoint au maire en charge des finances, Martin Arnout. Ce dernier a ensuite été accusé lors d’une réunion interne et a porté plainte pour diffamation.
En réaction, le collectif #IlsNeNousFerontPasTaire a été lancé afin de soutenir Gaëlle Betlamini Da Silva. Ses membres ont organisé une conférence de presse en juin 2019, expliquant les détails de l’histoire. Un courage que les élues du collectif ont payé cher : toutes ont démissionné du conseil municipal. Face à un tel mépris envers la parole et la douleur des femmes, il n’est pas étonnant que certains élus ressentent une impunité totale. C’est le cas de Marc Petit, maire de Firminy dans la Loire. Condamné pour agression sexuelle suite à un premier procès ainsi qu’en appel, il se pourvoit désormais en cassation. Exclu de son parti, le PCF, il se présente aux prochaines élections malgré un vote de défiance des conseillers municipaux.
Metoo et “tribunal médiatique” pour les municipales
La pression publique et médiatique peut néanmoins porter ses fruits, comme dans le cas de Laval, où François Zochetto a retiré sa candidature. Une décision qu’il justifie dans une allocution sur Facebook évoquant “un tribunal médiatique”. “C’est au-delà de l’indécence”, s’insurge Rosalie Salaun. “La diffamation est toujours une arme utilisée par les auteurs de violences présumées qu’ils mettent parfois à exécution”. L’ancien député écologiste Denis Baupin avait fait citer pour « diffamation » les femmes qui avaient témoigné contre lui ainsi que les journalistes de l’enquête. Il a fini par être débouté et condamné pour procédure abusive.
Une victoire historique à la fois pour les victimes ainsi que pour les médias, qui jouent parfois un vrai rôle de contre pouvoir. A Laval, France 3 a par exemple refusé d’accueillir François Zocchetto sur son plateau tant qu’il ne s’était pas expliqué sur son affaire. “Il est parfois difficile de résister dans une rédaction. Si on se fâche avec un maire, cela peut avoir des répercussions importantes, voire même des mesures de rétorsion difficiles à surmonter pour la presse locale”, analyse Lenaïg Bredoux.
La politique est faite pour les hommes
Les femmes seraient-elles trop “fragiles” pour encaisser la dure réalité politique ? C’est ce qu’on peut parfois entendre ici et là. Des préjugés qu’analyse Vanessa Jérôme, politiste spécialiste des Verts et d’EELV dans une émission d’Arrêt sur Images. “Le rôle politique est construit par les hommes pour les hommes. C’est un rôle social qui est genré. Une femme qui fait de la politique sait qu’elle doit être capable d’encaisser le sexisme sinon elle ne sera pas une vraie femme politique. Il y a donc une première marge de tolérance face à la violence.”
Une émission animée par Laury-Anne Cholez. Photo de Une : Pierre-Olivier Chaput pour Radio Parleur.
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