Plutôt que de descendre dans la rue, ils et elles jouent. Un collectif de streamer.euses et de vidéastes lève des fonds depuis début le début du mouvement contre la réforme des retraites pour alimenter la caisse de grève lancée par la CGT InfoCom.
Avez-vous déjà entendu parler de stream caritatifs sur Twitch ? Sur cette plateforme de diffusion de jeux vidéos en direct, chaque spectateur.trice – ou “viewer.euse” – peut commenter la partie en cours et interagir avec les autres internautes. Spécialisée d’abord dans la diffusion de gaming, c’est-à-dire de parties de jeux vidéos, la plateforme Twitch permet de diffuser de toutes sortes de contenus. Depuis plusieurs années, elle accueille des marathons de jeux-vidéos, aussi appelés “streams caritatifs”, lors desquels les joueurs.euses appellent aux dons. Depuis le 5 décembre, une centaine de streameur.ses se s’est emparée de cet outil pour contribuer à la mobilisation contre la réforme des retraites. En jouant en direct à des jeux vidéo sur le Stream Reconductible, ils et elles ont déjà récolté des dizaines de milliers d’euros en faveur des grévistes.
Une idée lancée sur Twitter et devenue réalité en 48 heures
Le Stream Reconductible est né de l’idée de Lizzie Crowdagger, une autrice de fictions fantastiques et fantaisistes. Deux jours avant la première journée de mobilisation contre la réforme des retraites, elle interpelle le youtubeur Usul et Benjamin Patinaud, alias @Bolchegeek, sur Twitter. Elle leur propose d’adapter le principe des streams caritatifs pour alimenter les caisses de soutien aux grévistes. En 48 heures, une vingtaine de personnes : streameur.ses, journalistes, vidéastes, développeur.ses web … s’organisent en ligne pour lancer la chaîne Twitch “Le Recondustream”. Le concept est simple : prendre la parole sur la plateforme pour récolter des fonds et alimenter une caisse de grève.
Mais quel.les grévistes soutenir ? “On a décidé rapidement de s’orienter vers la caisse de grève CGT InfoCom” explique Nat’Ali, l’une des streameuses principales du projet. “C’est une caisse intersyndicale, pas besoin d’être syndiqué pour en profiter“. Ainsi, le jeudi 5 décembre, le premier flux d’émission en direct 24h/24 est lancé, pendant quatre jours. Puis de 9h à 1h du matin chaque jour jusqu’au 20 décembre. Tour à tour, un.e streameur.se volontaire et bénévole s’empare de l’antenne pendant une ou plusieurs heures, et propose un contenu : partie de jeux-vidéo commentée, débats, explication de la réforme des retraites, interview d’invité.es…
Des jeux vidéos pour illustrer les violences sociales et politiques
Les streameurs et les streameuses sont libres de proposer le contenu qui leur plaît, en essayant de rester en rapport avec la grève ou des revendications sociales. “On veut proposer un autre moyen pour les gens de pouvoir suivre ou participer à la grève” explique Nat’ali, insistant sur l’enjeu politique de cette initiative. Dans les mains des animateur.ices les plus créatifs du Stream, des jeux vidéos comme Super Mario 64 se transforment ainsi en “Super Macron 64”. “On a remplacé toutes les textures pas des photos de Macron” sourit la gameuse. L’idée est simple : mélanger les mondes du gaming et de la politique.
“On joue à des jeux qui ont une petite portée politique, comme Beholder, qui est un jeu où un voisin doit espionner ses autres voisins pour donner des informations à l’État. Ça lance du dialogue” précise la jeune femme. “On a aussi fait venir des invités pour parler de sujet d’actualité ou de politique, comme le collectif Nos retraites,” rembobine Nat’ali. Animant des débats et lançant des défis avec le « chat » du Stream; la boîte de discussion, les participant.es proposent d’échanger sur le burn-out, les violences policières ou les précautions à prendre en manifestation. “On propose des débats, des libres antennes, des petites émissions… ça donne un public très mélangé.”
Un renouveau des caisses de grèves par le numérique
L’idée un peu folle s’est révélée finalement être un succès, que le collectif n’avait pas vu venir. En deux semaines, le Stream Reconductible récolte plus de 100 000€ de dons pour la caisse de grève CGT InfoCom. “On a fait 1000 euros les deux premières heures sur le début. On avait commencé à 200-500 personnes et puis on est parti à 2500 viewers en moyenne les deux premiers jours. C’était complètement fou“, explique Nat’Ali. La prise de contact pour effectuer les dons s’est faite la vieille de la première grande journée de mobilisation nationale contre le projet de réforme des retraites. “Ils nous ont contacté un peu en catastrophe pour nous proposer l’initiative” se souvient en souriant Romain Altmann, secrétaire général du syndicat CGT Info-Com, qui reçoit les dons du Stream. Le militant et le syndicat sont aussitôt séduits par la proposition : “on a dit banco tout de suite.”
Le Cégétiste salue dans ce mouvement “un certain nombre d’initiative menées par des jeunes pour venir en aide concrètement à la grève“. “C’est le fait nouveau de ce mouvement social”, assure Romain Altmann. “Le numérique représente près de 83% des sommes collectées.” Bien que les cagnottes des grévistes constituent un phénomène ancien, nous rappelle Clément Mabi, chercheur à l’UTC de Compiègne et spécialiste des enjeux autour de la démocratie du numérique, l’initiative est une première dans l’histoire des luttes. “Le numérique créé ici une dynamique de changement d’échelle”. Ce chercheur part du postulat que l’opinion des internautes est très peu captive, très volatile, pouvant empêcher une soutien dans la durée du mouvement social sur les plateformes numériques. Mais le Stream Reconductible, lui, joue le jeu du le principe de sérendipité d’internet selon lequel « les gens circulent par curiosité de liens en liens ».
Le Stream Reconductible suspendu en fin de semaine
Une mobilisation qui a aussi ses limites. Le dispositif sera suspendu, loin des claviers, à partir du dimanche 26 janvier après avoir récolté 144 400 euros à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Camarades, nous luttons ensemble depuis le 5/12/19.
— Le Stream Reconductible (@recondustream) January 22, 2020
On a toujours veillé aux meilleures conditions pour nos équipes, donc on va devoir mettre le stream en veille dès dimanche.
Mais pas d’adieu! La solidarité, comme la lutte, ne s’arrête jamais 👉https://t.co/vbpkmKxsaP pic.twitter.com/VAMQBFOow8
Une décision prise afin d’éviter de “sacrifier la santé de [l’] équipe et la qualité [du] contenu”, car les streamer.euses sont bénévoles, et tout comme les grévistes, l’investissement sur le flux vidéo est autant de temps en moins passé sur leurs activités professionnelles. Romain Altmann, secrétaire général du syndicat bénéficiaire heureux des dons, salue “l’alliance atypique entre deux mondes complètement différents, et deux pratiques sociales ou syndicales à la fois très jeune et l’autre très vieille et je trouve que ça fait un mélange formidable.”
Un reportage réalisé par Alix Douart et Tristan Goldbronn. Photo de Une : Capture d’écran du Stream Reconductible
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