Vendredi 20 septembre 2019, le procès de 14 militant·es antispécistes, membres du collectif Boucherie Abolition s’ouvre au TGI d’Évreux (Normandie). Risquant 7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende, ils et elles s’étaient introduit·es dans des exploitations normandes afin d’y libérer dindes et cochons. Leur but : abolir l’élevage intensif qui tue le vivant et détruit l’environnement.
Dimanche 14 avril 2019 au matin, douze activistes s’introduisent dans l’exploitation de M. et Mme Bonnard, dans la commune de Jumelles. A visage découvert, ils et elles fracturent les portes et tentent de libérer les quelques 5 000 dindes qui s’y trouvent. Seulement une petite centaine s’échappera finalement du hangar. Ils et elles répètent l’opération dans un élevage à Beaulieu et à Goussainville, la même journée, médiatisant leur intervention sur les réseaux sociaux.
Auparavant, l’action du 13 décembre 2018 n’était qu’un symbole. Deux militants avaient alors symboliquement libéré deux dindes de la même exploitation, baptisées “Louise et Rosa” par les militant·es. Leur mot d’ordre : dénoncer un “zoocide” et mettre fin à l’élevage intensif.
Pour ces faits, les militant·es sont arrêté·es lors d’un coup de filet national le 21 mai, après cinq mois d’une enquête ouverte par le parquet d’Évreux. Les activistes comparaissent ce vendredi pour « vol aggravé », « entrave concertée à l’exercice de la liberté de travail », « dégradations en réunion », et « violation de domicile ». Dans la vieille salle d’audience aux moulures de marbre et aux bancs qui craquent, le rendez-vous judiciaire se transforme pour les militant·es en tribune politique. Un procédé qui fait écho à celui des “décrocheurs de portraits”, quelques jours plus tôt.
“Nous n’avions pas d’autre choix”
“Nous pratiquons la désobéissance civile en connaissance de cause, nous n’avions pas d’autre choix” clame à la barre le prévenu Vincent Aubry. Me Thouy, avocate de la défense, inaugure l’audience en se positionnant franchement en faveur de la cause animale : “L’animal n’est pas une chose, il est sorti de la catégorie des biens. L’infraction de vol devrait donc tomber.” Elle est applaudie à la fin de son intervention par les prévenu·es.
Un argumentaire qui passe mal auprès du président et de la procureure. “Nous sommes dans une salle d’audience”, rabroue le président au sujet des acclamations, avant d’indiquer à Vincent Aubry : “Ce n’est pas le procès de l’esclavage mais votre procès. Je m’intéresse à l’infraction pénale.”
Un dialogue rompu
La tension monte entre la procureure et Solveig Hallion. “On nous a présenté un modèle où il faut tout détruire, tout casser. […] Quel est le sens de sortir ces animaux de leur cage ?” questionne-t-elle. “C’est l’élevage qui n’a pas de sens. Qui êtes-vous pour vouloir les mettre en cage ?” s’énerve la prévenue, avant que son avocat ne lui fasse signe de se tempérer. Lorsque la procureure indique que dans le droit “l’animal est soumis au droit de propriété des humains, espèce la plus élevée qui soit”, c’est la stupeur sur le banc des prévenu·es.
Des parties civiles attachées au bien-être animal
Après la pause, le président donne la parole au couple d’éleveurs. Face aux questions de la défense, M. Bonnard décrit son exploitation à Jumelles. “J’ai 9300 dindes par bâtiment.” Lorsqu’il se rend compte de l’intrusion, il appelle tout de suite les gendarmes. Après le départ des activistes qui ont pris la fuite, lui et son employé découvrent 1430 dindes mortes, que les parties civiles attribuent à l’action des militant·es, lesquel·les nient formellement, tout en restant assez évasifs. “Il y en avait des mortes quand nous sommes arrivés. Et autant quand nous sommes repartis”, décrit Vincent Aubry.
Le procès des antispécistes se tend sur ce point. L’un des trois avocats des parties civiles constituées des éleveurs, d’associations de la filière avicole et de la FNSEA se lève. Il décrit alors “deux attaques, visant trois cibles d’une filière agricole plongée dans un climat anxiogène”, par ailleurs “préoccupée par le bien-être animal“. Laissant respirer chaque mot, il entend souligner “l’inconscience de ces gens” qui ont voulu “faire sortir 5 000 bêtes en huit minutes“. Dans la bouche de ce défenseur de l’élevage, ce procès fait aux antispécistes de Boucherie Abolition devient l’aboutissement “de la radicalisation des associations de défense animale comme L214 par exemple“.
En fin d’après-midi, le couperet tombe sur les deux porte-paroles de Boucherie Abolition. La procureure de la république Dominique Puechmaille requiert 18 mois de prison dont six ferme contre Solveig Hallouin et Vincent Aubry. Dix-huit mois de prison avec sursis sont demandés contre les 9 autres prévenus, 4 mois pour un autre et 2 mois pour le dernier. Le jugement sera rendu le 5 novembre.