Ils et elles ne veulent pas être complices de la maltraitance institutionnelle. Les populations vulnérables sont entassées sans égards, et les tentatives de suicide se multiplient. Le 15 juillet, l’association La Cimade a quitté le centre de rétention du Mesnil-Amelot pour dénoncer les conditions d’enfermement de personnes détenues… avant d’y revenir, devant l’urgence, ce matin.
La sonnerie de la cabine téléphonique du CRA 2, Centre de Rétention Administrative n°2 retentit dans la cour des femmes. Une détenue s’en saisit et raconte son histoire d’une voix légèrement cassée. Anna a deux enfants. Elle vit en France depuis 32 ans. Il y a quelques semaines, son titre de séjour est arrivé à expiration. Avant qu’elle ne fasse une demande de renouvellement, elle se retrouve au centre de rétention du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne. “C’est vraiment difficile. L’hygiène ce n’est pas ça. Ce n’est vraiment pas propre. Il n’y a pas de fontaine à eau [il fait lors de cet appel plus de 40°C], et on doit se dépêcher pour manger.” Anna passe le téléphone à d’autres qui veulent témoigner. “La dernière fois il y a une femme qui revenait de l’aéroport et ils [les gardiens] l’ont frappé parce qu’elle ne voulait pas rentrer dans son pays. Quand on voit ça, en tant que femme, on a peur ! On se dit qu’ils vont nous faire la même chose” se livre “Mme Pinks” au combiné.
“La situation était extrêmement grave, d’où la décision de se retirer”
La canicule n’épargne pas non plus les bureaux de La Cimade, rue d’Oberkampf à Paris. Assis・es dans la seule salle climatisée, deux des dix intervenant・es juridiques du centre de rétention du Mesnil-Amelot, Claire Bloch et Marco Zanchetta expliquent les raisons de leur retrait. L’équipe a constaté dans ce centre, le plus grand sur le territoire, la multiplication du placement de personnes gravement malades, ou avec des troubles psychiatriques non traités. Des femmes avec leurs enfants en bas âge, aussi, malgré une vieille promesse du candidat François Hollande en 2012, et jamais respectée ni par lui ni par le président Macron. Le tout dans des conditions déplorables, qui poussent les plus fragiles à bout.
Le 9 juin et dernier, c’est un geste de désespoir particulièrement violent qui marque le point de rupture pour la Cimade. Si les tentatives de suicides et auto-mutilations sont quotidiennes, ce qui se passe ce jour-là dépasse tout ce que détenu·es et associatifs ont vécu. Des détenu·es en colère montent sur les toits du centre en criant “Où est la justice ?“. L’un des hommes accède à une grille d’environ 5 mètres de haut et s’enroule un fil barbelé autour du cou. “Alors qu’il menace de sauter, le chef du centre de rétention est venu nous demander de faire la médiation et de faire descendre ce monsieur. Ce qui n’est pas du tout dans nos prérogatives,” explique Claire. Pour Marco, “la situation était extrêmement grave. Il ne faut pas oublier qu’en centre de rétention, les gens n’ont commis aucun crime, excepté celui de n’avoir pas les bons papiers.”
La Cimade quitte le centre de rétention du Mesnil-Amelot, les migrant·es livré·es à eux-mêmes
“Mme Pinks” ne peut plus obtenir d’aide pour faire son dossier de recours à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui s’occupe des demandes de séjour en France. “Ils [les agents de l’administration] ont dit que c’était le travail de la Cimade.” Selon les salarié・e・s de l’association, l’administration est pourtant tenue d’assurer une aide administrative aux personnes du centre.
Omar Soufi, l’un des rebelles montés sur le toit, déplore le manque de soutien administratif pour constituer leurs dossiers et faire valoir leurs droits. A la place, l’administration du centre de rétention joue sur un sentiment de culpabilité. “Les policiers nous ont dit, ‘c’est à cause de vous que la Cimade est partie‘”. Pour l’association, un retour au sein de l’institution, effectif depuis ce matin, est soumis à conditions. Ils et elles exigent le respect des droits des détenu・es et l’amélioration des conditions de rétention.
Des conditions de détention qui s’aggravent
Yaël Braun-Pivet, Naïma Moutchou (LRM) et Stéphane Peu (GDR), tous trois député・es, ont visité le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot en février 2018. Il et elles constataient déjà de graves manquements à la loi. Pas de serrure dans les toilettes par exemple, ou des détentions aberrantes, comme cette femme de 20 ans enfermée avec son bébé de 13 mois.
La loi Asile et Immigration en vue, la présidente de la commission des lois Yaël Braun-Pivet avait déclaré à cette occasion, “si on veut augmenter la durée de rétention, il va falloir adapter sérieusement les locaux”. Au vu des témoignages des personnes détenues et de la Cimade, le centre de rétention du Mesnil-Amelot n’est pourtant toujours pas mis en conformité avec la loi. Contactée, l’administration du centre n’a pas donné suite à nos demandes.
Reportage : Thomas Hiahiani