Du 29 au 31 mars, la ville de Vérone, dans le nord de l’Italie accueillait le Congrès mondial de la famille. Représentants politiques d’extrême droite et membres d’organisations ultra-conservatrices se sont retrouvés autour de leur vision de la famille. En réponse, le mouvement Non Una Di Meno (« Pas Une De Moins ») a réuni plusieurs milliers de personnes dans les rues de la ville. Une mobilisation d’une ampleur inédite.

Il est 14h, ce samedi 30 mars à Vérone. Le mouvement féministe « Non Una Di Meno » supervise une marche à travers la ville. Entre 30 000 personnes, selon la police, et 100 000, selon les organisateur.trices, s’apprêtent à défiler. Du jamais vu à Vérone.

L’objet de cette mobilisation : c’est le Congrès Mondial de la famille organisé au même moment dans la ville. Un événement annuel qui réunit une coordination internationale d’organisations religieuses et conservatrices. Son organisation fait couler beaucoup d’encre en Italie.

Dans le cortège de la marche féministe de protestation contre le Congrès de la famille, à Vérone le 30 mars 2019. Photographie : Charlotte Mongibeaux pour Radio Parleur.

Une manifestation féministe historique

Place de la gare à Vérone, c’est l’heure des derniers préparatifs avant le départ de la marche. Des immenses drapeaux LGBT flottent déjà au vent. « C’est la flamme du mouvement, pour donner de la force pour se battre », explique une manifestante qui secoue une flamme rose en plastique à son poignet, puis disparaît dans l’épaisse armée d’embrassades et de « Ciao ! ».

Le mouvement féministe Non Una Di Meno (Pas une de moins) organise ce défilé à travers la ville. Né il y a plus de deux ans de son homologue Ni Una Menos, il est aujourd’hui présent dans plus de 60 villes d’Italie. Lancé pour lutter contre les féminicides, les meurtres de femmes par des hommes en raison de leur genre, le mouvement s’est rapidement internationalisé et touche maintenant l’Espagne et l’Italie pour lutter contre toutes les formes de violence patriarcale.

Venus de Bologne, de Milan, de Turin, mais aussi du centre et du sud de l’Italie, les derniers bus se fraient un chemin tant bien que mal pour déposer les manifestant.es au point de départ de la marche. Beaucoup sont maquillé.es et armé.es de banderoles. « C’est la première fois que je viens à Vérone pour une manifestation », souligne Fabrizio, descendu du bus avec ses ami.es de Turin. Vérone, bastion historique des conservateurs italiens, n’est pas habitué à ce genre de manifestation.

Devant la gare, le premier char peine à démarrer tant l’artère principale déborde d’un flot continu de manifestant.es. Des dizaines de journalistes italiens, au coude-à-coude, attendent le départ du cortège. L’image est impressionnante. Derrière la bannière « Transféministes, briseuses de ménages », des centaines de panneaux roses et violets bougent dans tous les sens au rythme de la musique qui sort des haut-parleurs des chars.

« Il s’agit d’une marche transféministe parce qu’elle réunit tous les mouvements qui se battent contre le patriarcat » explique Carlotta Cossutta, membre de la section milanaise de Non Una Di Meno. « L’organisation du Congrès mondial de la famille envoie un signal fort contre les droits humains en Italie et consolide un discours de haine qui prospère dans le pays » ajoute deux militantes d’Amnesty International croisées dans le cortège.

La marche prend des allures d’Erasmus du féminisme du côté du cortège international. Des militantes croates, espagnoles ou encore argentines se sont joints à la marche. Marta Dillon, l’une des fondatrices du mouvement Ni Una Menos en Argentine en 2015 est présente. Elle appelle à une globalisation du mouvement féministe.

Les rues du centre de Vérone, le long des bâtisses ocres et orangées, se teintent à présent de rose et de violet. Les chants et les danses font vibrer la ville entière. « Tout Vérone est féministe » entonnent joyeusement les manifestant.es sur plusieurs kilomètres. Le chant contre le fascisme « Bella Ciao » retentit à intervalle régulier. « Nous sommes des milliers ! » s’exclame Giulia, venue sans étiquette pour défendre les droits des femmes.

Dans le cortège de la marche féministe de protestation contre le Congrès de la famille, à Vérone le 30 mars. Photographie : Charlotte Mongibeaux pour Radio Parleur.

Le Congrès mondial de la famille, un événement qui divise l’Italie

L’année dernière, c’est la Moldavie qui l’a accueilli. En 2017, l’édition Hongroise s’est tenue en présence de Viktor Orban, le premier ministre ultra conservateur du pays. À Vérone, pour cette 13ème édition, la venue de la secrétaire d’Etat hongroise à la famille, Katalin Novák, est spécialement attendue. Promotion de la famille traditionnelle, lutte contre l’avortement et contre le mariage entre personnes de même sexe : autant de thèmes qui constituent le programme des débats.

Le gouvernement italien et les membres de la Ligue, le parti d’extrême droite au pouvoir depuis mars 2018, ne sont pas en reste. Le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini a fait très vite étalage de son soutien et a annoncé sa présence. Lorenzo Fontana, le ministre de la Famille connu pour ses propos homophobes, et Marco Bussetti, le ministre de l’Education nationale, se comptent également parmi les participants.

Ce congrès fracture depuis plusieurs semaines la coalition au pouvoir dans la péninsule. Luigi Di Maio, le ministre du Développement économique et chef de file du Mouvement 5 étoiles, qualifie les participants de « losers d’extrême droite ». Une position à l’opposée de celle affichée par son allié au pouvoir, la Ligue du Nord. Les invectives entre les deux chefs de files Di Maio et Salvini n’ont pas cessé durant tout le week-end.

Manifestants déguisés lors de la marche féministe de protestation contre le Congrès de la famille, à Vérone le 30 mars. Photographie : Charlotte Mongibeaux pour Radio Parleur.

Le droit à l’avortement lourdement menacé

« Aujourd’hui en Italie, 70% des médecins et gynécologues sont objecteurs de conscience (des personnels de santé qui refusent de pratiquer l’avortement, NDLR) », explique Eleonora Mizzoni. Un chiffre en nette augmentation depuis l’arrivée au pouvoir de la Ligue. Basée à Pise, son association Obiezione, Respinta ! dresse une carte interactive des hôpitaux dans lesquels il est possible d’effectuer une IVG. Des informations qui manquent cruellement car les médecins objecteurs de conscience n’ont pas l’obligation légale d’aiguiller les patient.es vers d’autres praticiens.

Alors que la manifestation défile gaiement au dehors, dans la salle de conférence où se déroule le Congrès mondial de la famille, l’ambiance est tout autre. Une proposition pour un référendum sur le droit à l’avortement en Italie se prépare. Elle sera envoyée au Parlement dans les prochains jours. Quarante ans après le vote de la loi dite 194, qui a ouvert le droit à l’IVG en Italie, l’avortement est devenu inaccessible dans certaines régions isolées. « On se rend compte qu’il y a des avortements clandestins qui sont pratiqués dans notre pays » se désole Eleonora Mizzoni.

En cause, les problèmes économiques drastiques des hôpitaux publics, obligés de fermer maternités et centres d’IVG. Les cliniques privées vers lesquelles les italien.ne.s sont obligé.es de se diriger sont massivement financées par le Vatican et les organisations catholiques. Début 2018, une jeune femme Valentina Milluzzo meurt sur son lit d’hôpital en Sicile. Enceinte de deux jumeaux, elle devait avorter à cause de graves complications mettant en danger sa santé. Son médecin refuse de l’opérer tant que les cœurs des fœtus continuent de battre. L’affaire avait choqué toute l’Italie.

Une manifestante lors de la marche féministe de protestation contre le Congrès de la famille, à Vérone le 30 mars. Photographie : Charlotte Mongibeaux pour Radio Parleur.

Le discours anti-avortement s’est profondément ancré dans le pays. « Le Vatican peut intervenir dans les écoles et les hôpitaux. Les prêtres cherchent à décourager les femmes d’avorter, alors que ces dernières sont en situation de vulnérabilité lorsqu’elles cherchent des renseignements. Ils proposent de l’argent ou expliquent la démarche à suivre pour faire adopter l’enfant » complète Eleonora Mizzoni. Les manifestant.es s’accordent à dire que la situation des droits des femmes n’a jamais été autant frontalement menacée. « En participant à ce Congrès, Matteo Salvini [ministre de l’Intérieur italien, NDLR] assume ouvertement sa position anti-avortement » conclut Eleonora Mizzoni.

Matteo Salvini, vice-président du conseil des ministres, était justement à la tribune pendant ce Congrès de la Famille, rappelle le quotidien Le Monde. Il a marqué sa différence avec l’organisateur de ce grand raout, Massimo Gandolfini. Ce dernier évoque régulièrement le chiffre de « six millions de bébés tués par l’avortement en Italie ».  « On ne touche pas à la loi 194 » a affirmé Salvini. Une manière de rassurer l’opinion publique italienne tout en brossant dans le sens du poil ses amis les plus conservateurs. Le leader d’extrême droite, proche de Marine Le Pen, n’a pas manqué l’occasion de résumer ses positions : « Je suis en faveur de ceux qui ont des enfants ».

Un reportage réalisé par Charlotte Mongibeaux