Le dernier livre des Pinçon-Charlot sonne comme un slogan de Gilets Jaunes. Dans leur ouvrage “Le président des ultra-riches”, les deux sociologues décryptent les mesures gouvernementales qui renforcent les inégalités à l’avantage d’une classe dominante de plus en plus riche, incarnée par le président lui-même. Radio Parleur a rencontré Monique Pinçon-Charlot pour discuter de ces écarts entre les revendications des manifestants et les décisions prises au sommet de l’Etat.
“Le président des ultra-riches”, c’est le surnom donné à Emmanuel Macron dans le livre qui retrace sa campagne et sa première année au pouvoir. Le couple de sociologues y explique comment Emmanuel Macron s’est entouré d’un entre-soi bourgeois et d’une oligarchie élitiste pour parvenir à ses objectifs présidentiels, dissimulés par une image d’outsider “hors système”. Une oligarchie rassemblant à la fois les pouvoirs politiques, économiques et médiatiques.
Cette « caste dominante » semble aussi selon Monique Pinçon-Charlot, être la cause du creusement des inégalités, dans tous les domaines de la société. Ne défendant que ses intérêts particuliers, elle « renie toute idée d’intérêt général ». La préservation de cet entre-soi bourgeois va de pair avec un exercice du pouvoir occulte, dans des lieux fermés, comme La Rotonde, présentée dans le livre. Ce restaurant du 6ème arrondissement de Paris, très apprécié d’Emmanuel Macron, s’est vu transformé en QG abritant de nombreuses réunions d’élaboration du programme économique du candidat En Marche mis en pratique depuis son élection.
L’ouvrage aborde également les relations étroites entre grandes entreprises industrielles et établissements bancaires, devenues indéniables, portées par les mesures économiques du gouvernement. Une politique qui fait système, empêchant tout ruissellement économique. Les sociologues décrivent ainsi une de ces dynasties familiales, où les héritages permettent de conserver l’argent et les pouvoirs qui vont avec, comme le démontre les précédentes recherches sociologiques des auteurs.
En plus de passer au crible les membres de l’entourage de Macron, les auteurs analysent
sa trajectoire politique inédite: « il est un pur produit du système capitaliste français ». Emmanuel Macron, lors de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2017, en est devenu un emblème parfait, une « imposture médiatique étonnante » à la croisée des mondes économique, financier et du monde de la presse. Pour Monique Pinçon-Charlot, les médias restent en effet partie prenante de cette oligarchie, et perpétuent une « propagande étatique », par « la manipulation idéologique et les escroqueries linguistiques ». Les rares personnes possédant la majorité des titres de presse participent à « tisser les fils de la toile d’araignée que constitue l’oligarchie au dessus de nos têtes » et demeurent au service d’un discours néolibéral, nous explique la co-auteure.
« Une guerre de classes »
Le mouvement des Gilets Jaunes s’apparente selon la sociologue à un mouvement de classes populaires et moyennes avec des intérêts convergents. Parce que la violence de classe reste considérable, les français comprennent petit à petit que « l’on est dans une dictature qui ne dit pas son nom » indique-t-elle avant d’ajouter “La violence des pauvres est souvent la plus redoutable, et la plus redoutée par les riches”. Les Gilets Jaunes ont rapidement “investi les lieux de pouvoir par leurs manifestations et leurs graffitis. C’est une de leur grande réussite” estime-t-elle.
Les slogans des manifestants visent « le chef d’entreprise de la start-up France, Emmanuel Macron » et nombre d’entre eux appellent à une plus grande justice fiscale. La suppression de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), mesure qui avantage indéniablement les plus riches, cristallise pour la co-auteure « une haine et une révolte de classe », hors de tout jeu des politiques institutionnelles. Au-delà de la critique du pouvoir, Monique Pinçon-Charlot rappelle que le mouvement permet aussi un « apprentissage de la démocratie directe » à chaque rond-point. Ils décrivent finalement une solidarité de classe qui se construit tout en revendiquant la « destruction d’une civilisation industrielle », en ayant conscience de la gravité de la situation, en particulier climatique, à l’échelle de la planète.
Un entretien réalisé par Sophie Peroy-Gay, image de une : Cyrille Choupas.