Il aura fallu 6 ans. Six ans de procédure pour que le Conseil d’Etat réponde enfin à la question posée par la journaliste Camille Polloni : “Suis-je fichée par les renseignements français ?”. Présente au salon Des livres et l’alerte, la journaliste du pure-player Les Jours raconte son parcours du combattant dans les méandres de l’administration française et le fichage illégal de sa personne par le renseignement militaire. Une démonstration “par l’absurde” qui soulève de nombreuses interrogations sur les thèmes de la surveillance, du secret des sources et des libertés individuelles.
Camille Polloni n’est pas un agent double. A peine cachée derrière sa paire de lunettes, que ce soit en conférence ou en aparté, elle détaille toujours avec la même précision sa “petite expérience” menée face à l’administration française. Ancienne des Inrockuptibles et de Rue 89, elle exerce depuis 2016 le métier de journaliste Aux Jours, spécialisée sur les sujets Police/Justice. En 2011, la jeune femme décide “par curiosité” de faire valoir son “droit d’accès” aux données collectées sur sa personne en déposant une demande par lettre à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Un droit “que tout le monde peut exercer”. Suite à une longue procédure qui la mène devant la CNIL, le tribunal administratif, la cour administrative d’appel, et enfin le Conseil d’État, elle apprend le 8 novembre 2017, dans la décision rendue par le “conseil des sages”, que le renseignement militaire a collecté illégalement des données sur elle. Ce dernier enjoint alors la ministre des armées de supprimer ces fichiers. “Je n’ai pas pu avoir accès à ces fiches” ajoute-t-elle, avant de préciser que rien ne garantit non plus leur suppression. L’enquête s’arrête ici.
L’Etat dans l’illégalité
Camille Polloni l’admet : “Je ne m’attendais pas à ce que ça mette aussi longtemps.”. Son enquête, feuilletonnée dans Rue 89, puis dans Les Jours, aura révélé une pratique illégale de fichage exercée par l’Etat lui-même. La journaliste ne s’est d’ailleurs pas arrêtée là. Lors de notre rencontre, elle “célèbre” la première bougie de sa plainte déposée auprès du Tribunal de Grande instance de Paris pour “collecte illicite de données personnelles”, délit inscrit dans le Code Pénal (articles 226-16 et suivants). Pourquoi les renseignements s’intéressent-ils à sa personne ? Elle ne se l’explique toujours pas. La journaliste analyse toutefois que la protection de la sûreté de l’Etat et la lutte antiterroriste peuvent constituer une justification à ces pratiques opaques. D’ailleurs, pour elle, la loi sur le renseignement de 2015 a renforcé ce manque de transparence sur le fichage des citoyens.
La violation du secret des sources, impunie ?
Ce fichage inquiète particulièrement Camille Polloni dans le cadre de son travail et questionne largement le respect de la protection des sources des journalistes. “La protection des sources est prévue par la loi mais la violation de leur secret n’est pas punie” soulève la journaliste. D’autant plus complexe lorsque c’est l’Etat lui-même qui s’y met. Un paradoxe qui fait peser toute la responsabilité de protection des sources sur les épaules du journaliste. Si Camille Polloni nous livre quelques-unes de ses techniques pour garantir des échanges “safe” avec ces informateur.trice.s, elle s’y résigne : “on ne peut jamais être à 100% hermétique quand on est journaliste”.