Fin de la première semaine du procès des agresseurs de Clément Méric, mort lors d’un affrontement violent le 5 juin 2013, les tensions restent vives dans la salle d’audience du Palais de justice de Paris. 5 ans après les faits, les témoignages et expertises entrent parfois en contradiction, donnant une vision contrastée des circonstances du décès du jeune homme de 18 ans.

Le skinhead à la peau neuve et la victime en chef de meute

A 9h40, Maître Vey, avocat de Samuel Dufour accusé de « violences volontaires » sur les amis de Clément Méric, rumine sur son banc et gêne l’audition du témoin appelé à la barre. Il finit par se lever et conteste l’audition de Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l’extrême-droite, venu apporter des éclairages sur l’univers dans lequel ont évolué les trois accusés, ex-skinheads et militants d’extrême droite. La dispute s’installe entre la défense et les parties civiles, la présidente Xavière Simeoni tentant de les calmer. La situation révèle un enjeu phare du procès : la violence politique a-t-elle armé le bras des prévenus ?

25 secondes de bagarre : témoignages et expertises en contradiction

A l’issue de la première semaine d’audience, les certitudes manquent sur le déroulé des faits. Cinq ans après, les vendeurs, vigiles et passants présents rue Caumartin, au moment de la vente privée de vêtements Fred Perry ce jour-là, peinent à se souvenir des circonstances du drame. Qui a frappé en premier ? Quelles intentions avaient les protagonistes ? Qui a porté le coup fatal ? Les assaillants étaient-ils armés d’un poing américain ? Autant de questions qu’ont tenté de résoudre les expertises policières et médicales. Le commandant de la brigade criminelle appelé à la barre détaille : sur les onze témoins directs de la scène « cinq parlaient du coup fatal comme ayant été porté avec un poing américain. » Toutefois, les expertises médicales n’ont pas d’éléments significatifs pour conclure en ce sens.

Les intentions des personnes impliquées dans la bagarre

Les témoignages décrivent une provocation verbale du groupe antifa, posté devant l’église, juste en bas de l’appartement de la vente privée. L’enquêtrice de la criminelle résume les faits sans nuance. « Il s’agit ici d’une histoire de fierté. Dans cette affaire personne ne veut baisser sa culotte. » Elle tranche sans hésiter vers une « intention d’aller à l’affrontement » côté skinhead, ainsi qu’à une volonté d’« occuper le terrain » du côté antifa. Affrontement de deux versions des faits, où le décryptage des personnalités de Clément et des trois accusés tient une place primordiale.


L’utilisation d’un poing américain au cœur des débats

Clément Méric a-t-il été frappé avec un poing américain ? Cette question est au centre des débats lors du troisième jour du procès, le jeudi 6 septembre. Le médecin qui a pratiqué l’autopsie de Clément indique ne pas pouvoir conclure à l’usage de cette arme. Or, les juges d’instruction ont choisi de renvoyer devant les assises deux des trois skinheads, Estaban Morillo et Samuel Dufour, pour des coups mortels portés en réunion et avec arme. Le poing américain et les bagues constituent en eux-même une circonstance aggravante. Le port d’arme illégal de catégorie D est puni d’un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende.

Pendant l’enquête pourtant, les conclusions du médecin légiste ont été contestées par d’autres experts et par l’accusation. Une autre expertise a ainsi conclu à l’existence d’une fracture des os propres du nez. Le médecin légiste dresse alors une froide description des “plaies”, “contusions” et “griffures” constatées sur le visage du jeune militant, qu’il mime sur son propre visage. Dans la salle d’audience surchauffée par le nombre important de gens présents, les parents de Clément, assis au deuxième rang, restent impassibles sous l’énoncé des blessures reçues par leur fils.

L’examen de la situation médicale de Clément Méric révèle que ce dernier était suivi pour une leucémie diagnostiquée en 2011 et qu’il suivait toujours un traitement de chimiothérapie d’entretien allégé au moment des faits. Le jeune homme avait 18 ans et pesait 66 kg pour 1,80 m.

Sur cet aspect, les avocats n’ont pas manqué de s’empoigner. Ainsi, lorsque Me Saint-Palais, l’avocat des parents de Clément Méric, suggère au médecin légiste la possibilité d’une erreur, le médecin agacé répond : « J’ai disséqué, j’ai regardé. Je ne changerai pas aujourd’hui mes conclusions. »
Me Saint-Palais, s’emporte : « je vois que le médecin n’est pas ouvert au débat ! » ce à quoi lui Me Maisonneuve, avocat du prévenu Esteban Morillo, qui se lève de son banc, répond : « Il n’est pas ouvert au débat car il n’est pas d’accord avec vous ? »

Un néo-nazisme « gommé »

La stratégie de la défense des accusés est claire : la dimension politique du procès doit être évacuée. Lorsque Esteban Morillo, en costume noir et aux cheveux d’ébène bien peignés, se présente à la barre le mardi 4 septembre, son discours apparaît ambigu, à tel point que parfois la présidente fait la moue pour montrer son scepticisme. L’homme de 25 ans avouant avoir trouvé « comme une famille » dans le mouvement d’extrême-droite Troisième voie, affirme par la suite nourrir « des rapports lointains » avec Serge Ayoub, leader du groupuscule. Les portraits que les mis en cause dressent d’eux-même en audience montrent des hommes repentis, dont les penchants extrémistes n’étaient que le résultat de « mauvaises fréquentations » et du manque de conscience de l’idéologie qu’ils ont véhiculée.

Au sujet de son tatouage à l’avant-bras « Travail, Famille, Partie », Esteban Morillo assure ne pas connaître le lien entre la devise et le régime de Vichy au moment de se l’encrer dans la peau. Une posture également adoptée par Samuel Dufour, surnommé « Le Führer » par certains camarades du CFA, lorsqu’il indique ne pas avoir eu conscience de proférer des « propos racistes et homophobes » en réponse aux questions de son avocat. Maître Saint-Palais, avocat de la famille Méric, s’adressant à M. Morillo, balaye cette stratégie d’un revers de main : « Vous nous dites que vous êtes un homme changé, mais je crois que vous essayez de gommer qui vous étiez. »